Le « Mondial » est l’occasion de voir resurgir ce que d’aucuns considèrent comme de vieilles lunes. A croire que sur un stade, certains points de repère mériteraient d’avoir cours, alors qu’ils sont aujourd’hui quasiment interdits de séjour ou du moins mal aimés. De rigueur, le patriotisme qui l’emporte sur la mondialisation ! Réhabilitée, la compétition contre l’égalitarisme ! Bienvenus, la discipline et l’effort ignorant laxisme et facilité ! La cohésion du groupe doit prendre le pas sur l’individualisme et le jeu personnel. Il n’est pas jusqu’aux mœurs guerrières qui, contre le pacifisme ambiant, sont autorisées à un retour conquérant avec l’offensive, la défense, les positions de repli, l’attaque…

C’est le curieux paradoxe d’une société qui par ailleurs, fait d’incessants appels aux valeurs (démocratiques et républicaines ) mais qui ne sait et ne dit ce qu’elles sont. Paradoxe qui conduit à s’interroger : et si le domaine du sport était, bien inconsciemment, le mainteneur de certaines valeurs socialement indispensables? Gardien par nécessité ! Imagine-t-on l’intérêt de rencontres sportives où égalité, laisser-aller, inertie, indiscipline, relâchements…animeraient les adversaires ? Les résultats d’une équipe où tricherie, zizanie, méfiance, malhonnêteté, égoïsme, indisponibilité, déloyauté, coups bas…régiraient les relations internes ? Plus de supporteurs, et partant plus de ‘business’.

Pourtant, hors le sport, évoquer ces valeurs comme nécessaires au développement des personnes et de leurs sociétés, c’est aujourd’hui encore être classé dans l’espèce des racornis du paléolithique, voire un tantinet fascisant. Quand on ne vous jette pas à la figure un dédaigneux « lieux communs ! ».

Et pourtant, ces lieux communs évoquent l'idée de communication, de communauté. De même qu'il y a des lieux communs géographiques - la place du marché, l'église du village, le bistrot - il existe des lieux communs issus de la connaissance et de la prudence humaines. L’invective de Démosthène , «il n'est pas possible, Athéniens, de constituer par l'injustice, le parjure, le mensonge une puissance qui dure», relevait d’un ‘lieu commun’.

Les lieux communs rassemblent les hommes, créent les communautés. Grâce à eux, l'entente est possible. Sans eux, il n'y a plus de vie sociale paisible. Les lieux communs favorisent un même langage, une cohésion du groupe social, des manières communes de voir et d’agir. Ils sont les références nécessaires et les points de passage obligés, révélateurs de «vérités premières». On ne peut s'en écarter sans danger pour les hommes et les sociétés. Ces valeurs, ces lieux créent et resserrent les liens. Ils enracinent. Révélés par l'expérience, ils sont une réponse aux besoins humains vitaux. Ces valeurs, ces ‘lieux communs’, sont fondés sur des nécessités universelles. Ce sont des poncifs : comme la pierre ponce, ils permettent de gratter le superficiel pour rechercher l'essentiel.

Quelle que soit l’activité, vivre ensemble, atteindre collectivement un objectif, réaliser une tâche commune demande de se plier à certaines exigences liées à notre espèce. C’est pourquoi dans un moment tel celui qu’offre le « Mondial », on les voit si fortement remis à l’honneur. Mais le ‘Mondial’ n’est pas la vraie vie, il ne dure que le temps d’une gigantesque foire, à l’issue de laquelle bonimenteurs et brigueurs de suffrages nous promettront confort sans effort, sécurité sans risque, loisirs sans contraintes…

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