Année close, pour satisfaire aux obligations légales, les entreprises vont devoir une fois de plus dresser le bilan social de l’exercice.

   C’est en 1975 que l’idée fut lancée. La mode récente étant au dialogue social – 1968 n’était pas loin – les gouvernants confièrent à Monsieur Sudreau de penser « une réforme de l’entreprise ». Le rapport, publié en 1975 notait : « Le moment est venu de donner une base chiffrée au dialogue entre les partenaires de l’entreprise, permettant de mesurer l’effort accompli en matière sociale et de mieux situer les objectifs ». Cette remarque devait donner naissance, 2 ans plus tard au « Bilan social ». Le gouvernement français ambitionnait d’être le fer de lance international du renouveau social : depuis, seul le Portugal a instauré une obligation qui ait quelque ressemblance avec notre bilan social.
Qu’en est-il, quelques 30 ans après ?

    L’obligation légale devait susciter la mise en place de tableaux de bord sociaux qui auraient pu être des outils d’analyse et d’aide à la décision. Mais, une fois de plus, la chiffromanie prit le dessus : la gestion sociale des entreprises de plus de 300 salariés fut soumise à un bilan comptable, tout comme l’est la gestion financière et économique : « ...que des chiffres, afin de ne pas introduire des éléments d’interprétation, sources de contestation » soulignait le  Directeur des relations du Travail au ministère. Cette directive dénotait une méconnaissance totale des réalités charnellement humaines et sociales, réduites à des statistiques qu’il faut administrer et gérer !
Illusion des sciences mathématiques !
Le culte du chiffre tenant lieu de critère d’objectivité et de vérité ! Comme si des chiffres pouvaient rendre compte de ce qui est avant tout qualitatif. 

   Comment, en effet, mesurer un art de vivre ?
   Nous connaissons des entreprises où les « indicateurs sociaux chiffrés » sont bons mais où les relations sont détestables : courts-circuits, démotivation, sentiments d’injustice...
   Nous en connaissons où il « fait bon vivre », où les difficultés de tous les jours se résolvent sur le terrain ; où chacun coopère à la mesure de ses responsabilités ...et pourtant les données chiffrées n’en  laissent rien paraître. La vie habituelle de l’entreprise et de ceux qui y vivent est faite de ces initiatives quotidiennes qui font le progrès des conditions de vie des personnes et la prospérité de l’entreprise. Les investissements en formation ou en matériels ne sont pas forcément la garantie d’un esprit de sécurité.      
   Comment chiffrer la prise d’initiatives, la délégation, la qualité des informations ... qui ont pourtant une si grande part dans la « situation de l’entreprise dans le domaine social »? Les heures de réunions, les sommes consacrées à la formation, les moyennes salariales par coefficient, le décompte des heures syndicales...ne rendent pas compte de ce qui ressort d’un art de vivre. Tout au plus, ces indicateurs peuvent-ils nourrir les statistiques du Ministère du Travail... et un certain nombre de fonctionnaires.

   Ce qui fait la fécondité d’une idée ou d’une décision, ce n’est pas le fait qu’elle devienne loi, qu’elle soit approuvée par un plus ou moins grand nombre ou qu’elle soit à la mode, c’est son harmonie avec la réalité des choses.
   Peut être est-ce pour cela que le bilan social, idée présentée naguère comme une avancée sociale, ne présente aujourd’hui aucun intérêt, si ce n’est d’astreindre nombre d’entreprises à de coûteuses formalités bureaucratiques.

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