Il nous a semblé intéressant de porter à la connaissance de nos correspondants l'étude parue dans la revue de l'Action Familiale et Scolaire sur le capitalisme familial, tant elle est émaillée de constats, de réflexions et d'images qui ne devraient pas laisser indifférents nos lecteurs...même si cette rubrique est un peu plus longue que de coutume ! Nous publierons la 2nde partie ( cf le sommaire ci-après) dans la prochaine parution.
    Nous remercions les responsables de la revue de nous avoir donné cette autorisation de publication.


I -CONSTITUANTS DU CAPITALISME FAMILIAL

    11- Stabilité du pouvoir lié au patrimoine…
    12- …et volonté d’indépendance
    13- Lien pouvoir de direction-propriété  ou comment avoir intérêt à bien faire ?
    14- Lien pouvoir-responsabilité-sanction
    15- Force des convictions partagées
    16- Servir, non se servir
    17 - Devoir de durer...
    18- …et de transmettre…
    19 -   …impose l’obligation de faire fructifier


 II - TALON D’ACHILLE ET EMBUCHES

    21 - Capitalisme familial et contexte économique.
    22- Fragilité de l’affectio familiae
    23- Précarité du patrimoine immatériel  
    24- Obstacle idéologique
    25- Un carcan idéologico-fiscal
    26- Des orientations bienfaisantes

De l’économisme triomphant…
   Fusions, regroupements, concentration d’entreprises, et depuis quelques années, mondialisation, économie planétaire, internationalisation… ont été présentés comme des conditions essentielles et nécessaires à l’expansion économique. Tel était le leitmotiv du prêt à penser des milieux technocratiques, de la plupart des économistes et d’un certain nombre de dirigeants. Il fait encore le pain quotidien de la presse. Il y a peu, en douter vous classait  dans la catégorie des fossiles du paléolithique. Le mouvement était irréversible, inéluctable : c’était le sens de l’histoire. Les pythonisses, voyants ou marabouts de l’économisme triomphant nous l’assuraient :
   «A l’avenir, seuls de puissants groupes industriels et financiers de dimension internationale pourront affronter concurrence, dérégulation et ouverture des frontières. Les économies d’échelle rendues possibles grâce à une réduction des frais généraux, la compression des coûts de production, la rationalisation des services centraux assureront une meilleure rentabilité...»
   Telles étaient les incantations magiques, plus, les impératifs catégoriques qui devaient inspirer les orientations stratégiques de nos industriels. Dans cette perspective, les entreprises dirigées soit par des familles, soit par les principaux actionnaires, personnes physiques, n’auraient aucun avenir. Elles seraient incapables d’affronter le défi mondial, de mettre en œuvre les  moyens financiers nécessaires pour faire face... Les voilà reléguées au rôle de spécimen de musée, à montrer aux générations futures.
…aux réalités actuelles
   Et pourtant ! le tissu économique français est constitué d’une majorité d’entreprises à capitaux familiaux, de sociétés dirigées par leurs propres actionnaires, fondateurs ou héritiers de ceux-ci, dont le patrimoine personnel est, parfois totalement, investi dans l’entreprise. Ce fait est peu connu du grand public, qui, pourtant, connaît le nom de sociétés comme Bic, Michelin, Manitou, Boiron, Bongrain…
   Prospérités économique et sociale durables ont pour point d’appui propriété et famille.
   Depuis peu, et surtout en ce début 2013, le capitalisme familial semble avoir le vent en poupe.
   « Les entreprises familiales ont tout bon », écrit Gwendoline Avoisin  « …bien avant que les experts vantent la vision de long terme et le management collaboratif, les entreprises familiales avaient ces deux éléments inscrits dans leur ADN ».
   Une étude publiée en janvier 2013 par le cabinet international Ernst & Young démontre que ces entreprises « résistent mieux à la crise » note Diane de Ferron, déléguée générale du Family Business Network France.
   « La constance du capitalisme familial est un rempart contre la crise » titrait un hebdomadaire.
    Le professeur Alain Bloch, avec Nicolas Kachaner, Sophie Mignon, signe un livre : « La Stratégie du propriétaire, enquête sur la résilience des entreprises familiales face à la crise ».
   Dans les Echos, « Les entreprises familiales réussissent à voir loin. Longtemps éclipsées par les performances des sociétés cotées, les entreprises familiales traversent la crise avec panache. Loin des promesses de prospérité éphémères, elles affichent stabilité et résilience. Paternalistes et ringardes, les entreprises familiales ? Avec la crise, elles tordent le cou aux idées reçues, et affichent des croissances à faire pâlir ».

   La comparaison avec les sociétés d ‘Etat ou les grands groupes privés anonymes, conduit à un verdict sans appel : les entreprises à capitaux familiaux sont l’un des principaux moteurs de l’économie nationale, tant en France qu’à l’étranger.
   Les statistiques montrent qu’elles sont les plus créatrices de richesse et d’emplois . De plus, les grandes entreprises privées les plus fécondes, y compris à l’international, sont majoritairement gouvernées par un noyau familial de poids.

1-    CONSTITUANTS DU CAPITALISME FAMILIAL

11    - Stabilité du pouvoir lié au patrimoine…

   Dans de telles sociétés, le capital est contrôlé par les membres d’une famille, qui directement ou non participent au gouvernement de l’entreprise. La même caractéristique se retrouve d’ailleurs dans des entreprises créées par quelques associés, sans lien familial, mais réunis autour d’un objectif et de références communs : il n’est pas rare alors d’entendre les collaborateurs parler du clan des fondateurs, des pères fondateurs, de la famille des associés. Ils sont le gage de la pérennité. Dans l’esprit humain, la famille reste toujours symbole de stabilité et de continuité. Cet engagement dans la durée n’est pas étranger au succès des entreprises patrimoniales.
   «Dans une société de province, lors d’un comité d’entreprise, le jeune patron -3ème génération de la famille - expliquait aux participants la nécessité de faire entrer dans le capital un nouveau partenaire, afin de se donner des possibilités de développement. Ce fut le délégué syndical C.G.T., membre actif du Parti Communiste local qui posa la première question :
- “Monsieur, la famille ne va pas laisser tomber, au moins?”
   La question laissait transparaître l’inquiétude ;  à tout prendre, le capitalisme familial est plus humain que le capitalisme anonyme!»

12  - et volonté d’indépendance
   La responsabilité conduit les dirigeants à une grande prudence financière. L’esprit d’économie y est fortement diffusé. Les profits y sont largement, sinon totalement, réinvestis. Même de grands groupes à direction fortement familiale préfèrent l’autofinancement, qui si il pénalise la croissance permet de protéger l’indépendance et la culture familiale (Auchan, Miehle en Allemagne). Toujours, pour protéger l’indépendance, si l’autofinancement ne suffit pas, c’est un statut juridique qui permet de sauvegarder le pouvoir de direction et donc l’esprit de famille (commandite Michelin).
   « Plus que les autres, les entreprises familiales pensent d’abord à l’avenir, aux générations suivantes, sans chercher le profit à tout prix. Elles font également preuve de davantage de prudence, puisque le capital en jeu est celui de la famille. Enfin, elles ont tendance privilégier l’investissement plutôt que le versement de dividendes. Tout ceci est facteur de stabilité », insiste  Diane de Ferron.

13- Lien pouvoir de direction-propriété  ou comment avoir intérêt à bien faire
   Dans l’entreprise à capitaux familiaux,  dirigeants, administrateurs ou membres du conseil de surveillance sont autant de personnes physiques, actionnaires essentiels de l’entreprise. Direction et propriété n’y sont pas séparées. Autant dire que l’exercice du pouvoir y est tempéré par la responsabilité : le fait d’être «en charge» de l’entreprise, de rendre des comptes et de supporter les conséquences des décisions sur ses biens propres est un excellent modérateur à une gestion capricieuse. Qui doit enfoncer lui-même un clou dans une planche, a intérêt à utiliser le marteau avec prudence et attention!
   Ce qui distingue le patron salarié d’un grand groupe, privé ou public, d’un dirigeant propriétaire de son entreprise c’est que pour ce dernier les fonds propres de l’entreprise sont ses propres fonds, pour reprendre le mot de l’un d’eux.
    L’étude Ernst & Young met l’accent sur le fait que les actionnaires familiaux utilisent plus les bénéfices pour se ménager une grande « indépendance à l’égard des marchés de capitaux » que pour rémunérer leur capital. L’autofinancement leur permet ainsi de déterminer plus librement leurs investissements et l’innovation sans trop dépendre des banquiers ou « des attentes trimestrielles des actionnaires ».
   « Quand j’ai créé Radiall avec mon frère Lucien, j’ai dû apporter à la banque une caution personnelle sur tous mes biens. Ensuite, quand l’entreprise a grandi, j’ai voulu obtenir une main levée sur cette caution, et j’ai eu beaucoup de difficultés".
   Le dirigeant-propriétaire assume une responsabilité réelle : les  pertes abyssales dont depuis des décennies les média nous entretiennent sont inconcevables dans une entreprise patrimoniale. C’est que la responsabilité y est personnalisée et la sanction personnelle.

14- Lien pouvoir-responsabilité-sanction
   La contrepartie au pouvoir de décision est la responsabilité. Mais il n’y a pas de responsabilité sans sanction. Une faillite ou un échec grave font perdre au dirigeant-propriétaire son poste et sa fortune.
   Le dirigeant salarié d’un grand groupe à capitaux anonymes, lui, y laisse son poste, est muté, souvent promu, jamais sanctionné, quelle que soit l’ampleur des dégâts qu’il a pu occasionner. L’irresponsabilité et l’absence de sanction permettent les fantaisies en tout genre : suivant goûts, aptitudes, relations politiques ou amicales, on s’engage dans le social, l’innovation technologique sans coût et sans prix, la croissance mégalomane tous azimuts. Ici ce sont les multiples actionnaires qui épongent la dette et payent les pots cassés, là, c’est le contribuable qui paye, sans autre pouvoir que celui de se faire plumer.

15- Force des convictions partagées
   La pérennité de l’entreprise à capitaux familiaux dépend essentiellement de la nature du lien unissant les propriétaires-dirigeants. Le seul lien financier est facteur de zizanies, de troubles et très rapidement de mort. Bien des sociétés familiales ont été contraintes à la vente, car les actionnaires familiaux s’étaient peu à peu désintéressés de ce qui s’y passait :
   Le directeur général d’une d’entre elles confiait son amertume de n’avoir pas su convaincre son frère aîné, président de la société, d’associer plus étroitement frères, soeurs, cousins... à la vie de la “Maison”, à ses buts, à son rôle, à ce qu’elle faisait, aux hommes qui l’animaient, aux clients qui lui faisaient confiance...Au fil des ans, ils n’étaient devenus que des pourvoyeurs de fonds, sollicités à chaque fois qu’il fallait affronter des difficultés. Pour quel objectif, pour quelles raisons? L’absence de “raisons de se battre” conduit à la démission. L’entreprise a été vendue. Elle a connu en dix ans trois acquéreurs successifs.
   C’est dire que l’affectio societatis, c’est à dire la volonté de s’associer en vue d’un objectif commun, ne suffit pas. L’héritage familial engendre un mode de direction qui souvent s’appuie sur des croyances fortes, des principes qui ne sont rien d’autres que les racines morales et parfois même spirituelles de l’arbre généalogique . C’est pourquoi, même lorsque il faut recourir aux compétences d’un manager extérieur, la famille exerce un contrôle rapproché.
   Doivent y être entretenues des relations telles que se développe un fort sentiment d’appartenance, d’identification de tous les actionnaires  à la famille, généralement autour d’un nom, celui du fondateur. C’est pour cela qu’on a parlé d’affectio familiae, qui comme dans toute famille va se traduire par la cohésion de ses membres autour d’un patrimoine immatériel, fait d’histoire et d’histoires, de mythes, de manières de vivre, de règles communes plus ou moins formalisées, d’engagements dans la Cité…
   L’union du groupe familial autour de ce patrimoine commun est la clé de voûte du capitalisme familial, qui doit être entretenue par tous les moyens renforçant les liens : rencontres et bonne information régulières, pacte familial qui transcrit droits et devoirs des actionnaires au regard des principes de l’entreprise…


16- Servir, non se servir
   La force des liens se fait autour de cette réalité que l’entreprise est d’abord là pour servir, rendre un service utile à la communauté et ainsi participer à la création et à la diffusion de richesses.
   Deux principes clairs ressortent de la philosophie de ces entreprises :
*   servir l’entreprise plutôt que se servir d’elle;
*   priorité aux hommes et aux clients.
  
Une anecdote relativement ancienne illustre bien le premier de ces principes.
   Lors d’un entretien radiodiffusé, un journaliste interrogeait M. François Michelin, alors dirigeant de l’entreprise familiale :
- « Le patron des patrons, Mr. Périgot , réclame... ».
Son interlocuteur l’interrompit aimablement mais fermement :
 - « Le patron des patrons, c’est le client, ce n’est pas M. Périgot ». 
La formule est abrupte, mais résume de manière parfaite la raison d’être de toute entreprise. Cette conviction est bien la clé de voûte du succès durable : nul ne peut nier que c’est le client qui passe des ordres, qui commande.
  
   Le deuxième principe a été remarquablement formulé par un journaliste américain:
   « Pauvrement servi, l’employé servira pauvrement... Les chefs sont les serviteurs des employés…Ils  doivent faire en sorte que le personnel serve mieux les clients.
Le service et la qualité ‘haut de gamme’ dépendent d’une direction ‘haut de gamme’ ».
   Les dirigeants de l’entreprise à capitaux familiaux de par leur proximité avec le terrain, sont plus attentifs à l’impact que  les orientations, la qualité des règles de vie de l’entreprise, les lignes de conduite  peuvent avoir sur les collaborateurs. Plus que dans  d’autres structures, l’entreprise apparaît comme une aventure humaine : le pouvoir y a un visage, on parle de la Maison, chacun peut s’identifier à un nom ; ainsi que le disait en substance Jean Brousse lors d’un colloque ,  « l’ouvrier a connu le fondateur, il tutoie le dauphin, ce qui évite les charrettes fonds-de-pension quand il y a des difficultés ». Le souci de la pérennité engendre le respect du métier, du produit, de ceux qui le font, de ceux qui l’achètent. 

17 - Devoir de durer...
   En France, il est un label délivré à des entreprises dans lesquelles le capital et le pouvoir de décision appartiennent à la même famille… depuis plus de 100 ans !
   « Etre familial et centenaire ne veut pas dire immobilisme ou vieillot, note Entreprise Familiale Centenaire. L’implication des familles est un élément essentiel, car elle est garante de l’image, du maintien de la qualité de l’offre et de la pérennité de l’entreprise. Les entreprises familiales centenaires ont souvent une capacité remarquable d’écoute et de respect de leurs clients, ce qui les a amené à évoluer, à s’adapter, et leur a permis de traverser des guerres et des crises importantes ».
   Selon l’étude Ernst & Young déjà citée, 58 % des dirigeants d’entreprises à capitaux familiaux affirment haut et fort que le long terme est une des raisons essentielles de leur réussite. On n’y raisonne pas moment présent et tiroir-caisse de fin de journée mais tout est entrepris dans une logique qui embrasse les générations à venir. D’où l’empirisme pragmatique, les choix prudents et réfléchis tant en matière d’investissements que d’innovation.
   « Nous gérons l’argent de nos clients comme le nôtre, et quand on ne comprend pas une opération, on ne la fait pas », souligne Bernard Maurel, président du conseil de surveillance de la banque marseillaise Martin Maurel, créée en 1825, et aujourd’hui seule banque familiale française. « Le goût de la terre donne du bon sens, ce qui n'est pas incompatible avec ce métier », affirme celui qui se dit plaisamment « financier-paysan », descendant d’un viticulteur du Var. Le bilan de sa banque, aujourd’hui sous la direction opérationnelle de sa fille, Lucie Maurel, peut faire rêver bien des géants de la profession, aux dires d’experts.
  
   Pour Alain Bloch, professeur à HEC et au Cnam, interrogé par Valérie Froger,les entrepreneurs familiaux «agissent en faisant preuve à la fois de dynamisme entrepreneurial mais aussi de prudence patrimoniale. Ils sont audacieux mais prudents, axés vers le profit mais généreux, durs au travail mais sociaux, internationaux mais avec des racines fortes. lls ont également une hiérarchie des valeurs totalement opposée aux entreprises dont l’actionnariat n’est pas ou plus familial. Ils privilégient la pérennité à la performance. Ces comportements vertueux leur permettent d’assurer la longévité de leur entreprise et de mieux résister aux chocs…
    "Si vous ne deviez retenir qu’une raison pour expliquer la résilience de ces entreprises, quelle serait-elle ?
   Leur frugalité ! Elles ne dépensent pas plus que ce qu’elles gagnent. Leur politique de distribution des dividendes est modérée et leur taux d’endettement peu élevé. Cette allocation de ressources leur permet de réagir mieux et plus vite. Elles ne s’effondrent pas face à l’inattendu. Leur indépendance financière apparaît également comme un facteur de résilience. Les prises de décisions sont plus rapides car elles n’ont pas de comptes à rendre à des actionnaires. Elles ne sont pas soumises à la pression des marchés financiers
".

18- …et devoir de transmettre…
   Le témoignage d’un jeune P.D.G. est révélateur de l’esprit qui anime les dirigeants des entreprises à capitaux familiaux. Là, les dirigeants se considèrent comme les dépositaires d’un bien aux multiples facettes : machines, savoir-faire, clients, personnel, fournisseurs ou sous-traitants ; dépositaire d’un capital social et relationnel autant que matériel et financier. L’objectif majeur est de transmettre un patrimoine enrichi à la génération suivante.
   «Ce qui me distingue de mes cadres, c’est ma part de capital. Mais cette part, je l’ai reçue, j’en suis dépositaire, je dois la transmettre. Si je vendais, ce serait l’aisance, mais la trahison. Je dois de plus cotiser au rachat d’actions de frères et de sœurs. Aucune perspective de large aisance».
   L’entreprise n’est pas un «laboratoire social ou économique», où sont manipulés les divers composants à des fins d’expériences, mais un lieu de vie d’où doivent résulter richesses matérielles et immatérielles pour les clients, le personnel, les fournisseurs, les actionnaires, le plus longtemps possible. Cette vision sur le long terme, soutenue par une relative indépendance financière, donne aux dirigeants une certaine liberté de manœuvre. Les réactions aux secousses venues de l’extérieur ou aux pressions du marché concurrentiel se font de manière plus souple, plus progressive.
   Hormis les cas de crise économique ou propre à une profession, il est rare que ces entreprises soient le théâtre de réajustements brutaux tels que ceux que la presse évoque : licenciements massifs quasi immédiats, «reengineering», multiplication des contrôles, mise en place de commissions d’études, rapports dans les moindres détails des faits et gestes des uns et des autres, instauration de procédures de demande d’autorisations... Ces procédés sont généralement épargnés à ces entreprises, et sont autant de gains qui renforcent la rentabilité à long terme. Car c’est le temps qui gouverne les décisions prises.
   Il y a une vingtaine d’années, à la suite d’acquisitions qui firent de Michelin le premier fabricant mondial de pneumatiques, la “Maison” allait être confrontée à des difficultés dont le patron tint à prévenir les actionnaires. Il expliqua les raisons des décisions, les différents aspects des problèmes à résoudre et les mesures qui seraient prises en vue de tenir le cap. La réaction des marchés financiers ne se fit pas attendre : le titre boursier chuta sur toutes les places financières, sauf à Tokyo où le long terme était alors, semble-t-il, l’unité de mesure des japonais! Mais l’indépendance financière, procurée par le statut de société en commandite, a permis aux dirigeants du groupe d’agir selon leur conviction et le bien futur de l’entreprise, quels que soient les états d’âme de la finance anonyme.

19 -   …imposent l’obligation de faire fructifier

   Les dirigeants des entreprises patrimoniales sont attachés à la maîtrise de leur pouvoir de décision. Simple bon sens! Qui accepterait de tenir le clou à enfoncer dans une planche, si
quelqu’un d’autre tient le marteau?
Un chef d’entreprise avait entamé les procédures de licenciement d’un collaborateur pour faute grave. Etant  protégé en raisons de multiples fonctions-couvertures syndicales, la décision de s’en séparer était soumise à autorisation de l’inspection du travail : refus. Les recours successifs aboutirent au ministre du travail : sommation de garder l’intéressé. Le chef d’entreprise proposa publiquement à monsieur le ministre de prendre la direction de l’entreprise; responsable de l’entreprise il ne pouvait cautionner un acte que la morale la plus élémentaire réprouvait : conserver en place un tricheur qui se sert de ses mandats syndicaux à son profit exclusif. La cause fut entendue. M. le ministre resta ministre, le patron, patron et le syndicaliste, devint syndicaliste à l’Union Départementale.
   Voilà un dirigeant qui, tenant le clou, ne tenait pas à être dépossédé du marteau.
   Cette anecdote est révélatrice de l’état d’esprit des patrons d’entreprises familiales.
L’entreprise a un nom, qui souvent est celui du créateur ; elle a une histoire et ses petites histoires, mais aussi ses mythes fondateurs. Près du terrain, des hommes, des produits, des clients, des fournisseurs... le pouvoir y est palpable.
   Ce n’est pas de pouvoir patronal dont il s’agit. Il a figure humaine. Il est proche du métier, des réalités. Il est exercé par des hommes de chair et d’os  qui ont tout intérêt à ne pas trahir la confiance des clients si dure à obtenir. L’exemplarité est de mise. La crédibilité à l’égard du personnel s’acquiert et s’entretient au jour le jour. En donnant à tous des lignes de conduite claires qui sont le langage commun, le fil directeur des initiatives, des actions, des décisions que chacun, chaque service est amené à prendre, dans l’intérêt du client.
   Ce n’est pas un hasard si les sociétés patrimoniales sont plus aptes à engendrer cohésion, adhésion et motivation. Ainsi sont rendues possibles une réactivité et une agilité créatrice qui coiffent le concurrent classique sur le poteau.
(...A suivre...)













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