Faire nous-mêmes nos propres affaires

La prud'homie est une institution typiquement française, dont les origines remontent au MoyenAge. « Le livre des métiers de Paris » - recensement des us et coutumes professionnels opéré par Etienne Boileau, prévôt des marchands de Paris, à la demande de Saint Louis - relate par exemple que la corporation des foulons de draps a quatre prud'hommes, établis par le roi : deux maîtres et deux valets. Le prévôt choisit les deux maîtres sur proposition des valets, et les deux valets sur proposition des maîtres.
La qualité de ce mode de désignation est à noter : les « maîtres» présentés par les valets sont évidemment de ceux « avec qui on peut s'entendre », des patrons bien admis des salariés; inversement les valets présentés par les maîtres ne peuvent pas être des « types impossibles» mais des salariés reconnus pour leur mérite, leur connaissance du métier, leur loyauté. Un collège ainsi constitué n'est pas le lieu d'affrontement de deux partialités contraires, mais une convergence de compétences, d'impartialité, d'équité.

De fait, les Prud'hommes - hommes sages, équitables - sont des experts, versés dans un métier et chargés de certaines fonctions, comme de faire justice, d'apprécier le respect des règles professionnelles ou d'estimer la valeur d'un objet. Cette dernière fonction était spécialement utile à une époque où un marché, parfois restreint, pouvait laisser place à des abus. C'était aussi veiller à la décence des salaires comme aux« conditions de travail » et à la qualité. La plupart de ces fonctions sont passées depuis à d'autres instances: inspecteur du travail, tribunaux de commerce (en matière de brevets par exemple ou de concurrence abusive) , services de contrôle des prix ou organismes certifiant la qualité.

 L'institution prud'homale est dès sa création attachée à ce que les différends entre employeurs et employés soient arbitrés par des pairs. Les affaires y sont présentées devant quatre juges appartenant à la catégorie professionnelle du plaignant. Les prud'hommes s'inséraient alors dans les corps de métiers, faisant eux-mêmes partie de cet enchevêtrement complexe d'institutions qui constituaient la société médiévale. Chaque communauté, chaque «corps» s'organisait, codifiait les rapports entre les personnes. Ils se dotaient de pouvoirs très étendus, correspondant aux responsabilités qu'ils devaient assumer : moralité du métier, statuts, apprentissage, qualité des produits, arbitrage des conflits.

 

La révolution française supprima toutes ces institutions, au nom de La Liberté, ainsi qu'en témoigne la Loi Le Chapelier de juin 1791. Les corporations dissoutes, toute organisation intermédiaire entre les citoyens et l'Etat étant interdite, parce que restreignant La Liberté individuelle, les prud'hommes disparurent aussi.

C'est à Lyon, dans les milieux soyeux qu'ils refirent surface. Napoléon 1er les rétablit par une loi en 1806. Leur renaissance était attendue. Ils répondaient à cette aspiration qui sera maintes fois rappelée au cours du 19 ème siècle, par ceux qui depuis 1791 avaient perdu le droit de s'associer et de s'entendre :

« Ce que nous voulons, c'est faire nous-mêmes nos propres affaires », demandaient les délégués réunis lors du Congrès de la Salle d'Arras, en 1876.

Le syndicalisme naissant ne remit pas en cause l'institution..

« Ces tribunaux rendent d'assez grands services, en dépit des restrictions autoritaires de la loi... Ils sont les seuls tribunaux se rapprochant de la démocratie, et il y a là le germe de l'idée principale de l'organisation judiciaire future » notait le n° 35 du "Prolétaire" en date du 31 Mai 1879.

L'instance prud'homale fonctionne pour et par les acteurs sociaux, issus du milieu professionnel.

Cette caractéristique explique la faveur dont elle bénéficie dès sa réapparition; notamment de la part des milieux « mutuellistes » et réformistes, qui voient dans les prud'hommes un des moyens de doter peu à peu le monde du travail des références qui lui font défaut depuis le vide créé par la Révolution.

Seuls, à l'époque, les partisans de la lutte des classes, incitèrent « les organisations ouvrières à se désintéresser complètement de la question des conseils de prud'hommes, pour consacrer leur force vers d'autres mouvements plus efficaces, pour arriver à la suppression totale du salariat et de l'exploitation de l'homme par l'homme ».Cette proposition lancée à Lyon, lors du Congrès de la CGT en 1901, souleva un tollé de protestations.

Un siècle plus tard, les temps ont changé...Le Conseil des Prud'hommes est devenu un des terrains de chasse des organisations syndicales et professionnelles...

 

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