Consultation ou manipulation ?
les conditions de l'implication
Il y a quelques années, un institut allemand avait réalisé un sondage pour un hebdomadaire sur la cote des ministres du gouvernement en place.
Jusque là rien que de très banal. Nous connaissons nous aussi ces prises de température périodiques qui prétendent nous renseigner sur les états d'âme (!) d'une population à l'égard de ses dirigeants.
Facétieux ? les réalisateurs du sondage avaient malicieusement glissé dans la liste officielle le nom d'un ministre fantôme : un certain Meyers ou Mayerber, peu importe le nom, puisqu’il n'avait jamais existé, du moins en tant que membre du gouvernement en place. Façon de mettre un peu de piment à une opération devenue tristounette de par sa répétition? A moins que le but n'ait été de démontrer ainsi la piètre valeur des sondages ?
Toujours est-il que le ministre de papier qui n'était pour rien dans les heurs et malheurs du pays, puisqu'il n'existait pas, s’était retrouvé en 6e position, c'est-à-dire parmi les ministres les plus prisés de l’exécutif gouvernemental !
Au-delà de la plaisanterie, l’anecdote ne peut manquer de susciter quelques réflexions.
Un tel résultat révèle jusqu'où peut conduire cette habitude si répandue dans nos "sociétés de masses" de consulter sans cesse les gens sur des sujets à l'égard desquels ils n'ont ni intérêt personnel et direct, ni compétence, ni responsabilité.
Car quelles seront les conséquences de ma réponse à un tel sondage ? Chacun sait bien qu’elle ne changera rien au cours des choses - en tout cas ne l'engage en rien personnellement. Aucun ne supportera de manière sensible les conséquences heureuses ou malheureuses de sa réponse.
Chacun se sent irresponsable. Et la répétition de telles consultations finit par créer des habitudes négatives - qui deviennent en fait des habitudes d'incivisme. "On nous consulte sur des sujets dont on n'a rien à faire, mais on ne nous demande pas notre avis quand il s'agit d'élever nos enfants ou d'organiser le poste de travail que j'occupe".
Ne serait-ce pas là aussi un révélateur de l'état de santé de nos modernes sociétés et de cette forme de démocratie qui, pour reprendre la définition que donne le Robert, "place l'origine des pouvoirs dans la volonté collective des citoyens" ?
Or la volonté, c'est la "faculté de se déterminer", c'est "l'intention déterminée d'accomplir ou de faire exécuter quelque chose", c'est "l'énergie, la fermeté morale". Autant dire que le fait de vouloir - avec tout ce que cela sous-entend de conscience, de force de conviction, de nécessité, de mobilisation de tout l'être - suppose de connaître, de comprendre le pourquoi et le comment. Il ne peut y avoir acte de volonté, sans au préalable acte de connaissance et de compréhension.
Quant à l'idée de volonté collective, on cherche en vain quelle réalité elle recouvre : il ne peut exister que des volontés personnelles, conscientes. La volonté collective est un mythe.
En revanche, plusieurs volontés personnelles peuvent se rencontrer, se trouver en accord, se joindre en fonction, d'une compétence, d'une responsabilité, d'un intérêt communs. Ce qui suppose un héritage commun, un même cadre de références, susceptibles de déterminer des objectifs à atteindre qui soient désirés par les uns comme par les autres...
Ce qui suppose aussi un langage commun et un même sens du possible, une même connaissance des réalités pour déterminer une convergence dans les volontés d'agir sur ces réalités.
Dans la vie quotidienne des entreprises, la tentation existe pour céder à la mode, aux idées qui sont dans l'air - de consulter "les travailleurs" sur un certain nombre de questions.
Telle cette consultation réalisée dans un atelier de mécanique où tout le monde fut appelé à voter pour choisir entre deux types de machines à renouveler - tout le monde, y compris la femme de ménage puisqu'elle comptait à l'effectif de l'atelier... Mode de pure démagogie - "cet art de faire croire aux gens qu'ils sont les rois alors qu'on les prend pour des billes".
Car bien sûr comme on ne peut laisser une telle décision au hasard de choix incompétents et irresponsables, la question a été posée par les "compétents" dans des conditions telles qu'elle appelle la réponse souhaitée. Et pendant ce temps la malheureuse femme de ménage - qui a voté sur des sujets qu'elle ignore - se voit imposer, sans consultation préalable, le modèle de seau ou de produit d'entretien avec lequel elle est tenue de donner un bon résultat.
Car c'est là le revers de cet appel à la "volonté générale". Il suppose presque toujours la confiscation du pouvoir personnel dans les domaines où l'on a compétence, responsabilité, intérêt direct.
Et pourtant ce sont bien là les critères simples qui permettent de guider pratiquement la conduite dans des domaines aussi délicats, aussi discutés, que l'information et la consultation.
Qui faut-il informer et sur quoi? Il faut informer sur les choses auxquelles les gens s'intéressent et aussi - les deux conditions sont nécessaires - sur lesquelles ils assument une responsabilité, c'est-à-dire dont ils subiront personnellement les conséquences positives ou négatives.
Et qui faut-il consulter? Autrement dit auprès de qui faut-il recueillir des informations avant de prendre une décision? Qui faut-il "mettre dans le coup"?
Ceux qui ont intérêt, responsabilité et au moins une certaine compétence, même partielle.
S'il faut augmenter Paul ou ne pas augmenter Pierre, je n'ai pas à consulter leurs collègues parce qu'ils n'y assument aucune responsabilité: cela "ne les regarde pas". Je n'ai pas davantage à leur communiquer la feuille de paye de Pierre ou de Paul. Par contre cette augmentation ne peut être faite sans consulter ceux qui ont une responsabilité dans le comportement de Paul et de Pierre, ceux qui ont des comptes à rendre sur le résultat de leur travail : leur chef immédiat, et probablement aussi le supérieur du chef.
Et s'il faut apporter une modification sur un poste, installer un nouvel outil, il faut consulter celui qui tient le poste - qui vivra les conséquences positives et négatives du changement - qui a donc une responsabilité, un intérêt direct ; tandis qu'il est inutile de consulter des gens qui n'auraient qu'une "opinion" sur les "conditions de travail".
Trois critères hors desquels les gens auront toujours le sentiment plus ou moins vague d'être manipulés.
Jusque là rien que de très banal. Nous connaissons nous aussi ces prises de température périodiques qui prétendent nous renseigner sur les états d'âme (!) d'une population à l'égard de ses dirigeants.
Facétieux ? les réalisateurs du sondage avaient malicieusement glissé dans la liste officielle le nom d'un ministre fantôme : un certain Meyers ou Mayerber, peu importe le nom, puisqu’il n'avait jamais existé, du moins en tant que membre du gouvernement en place. Façon de mettre un peu de piment à une opération devenue tristounette de par sa répétition? A moins que le but n'ait été de démontrer ainsi la piètre valeur des sondages ?
Toujours est-il que le ministre de papier qui n'était pour rien dans les heurs et malheurs du pays, puisqu'il n'existait pas, s’était retrouvé en 6e position, c'est-à-dire parmi les ministres les plus prisés de l’exécutif gouvernemental !
Au-delà de la plaisanterie, l’anecdote ne peut manquer de susciter quelques réflexions.
Un tel résultat révèle jusqu'où peut conduire cette habitude si répandue dans nos "sociétés de masses" de consulter sans cesse les gens sur des sujets à l'égard desquels ils n'ont ni intérêt personnel et direct, ni compétence, ni responsabilité.
Car quelles seront les conséquences de ma réponse à un tel sondage ? Chacun sait bien qu’elle ne changera rien au cours des choses - en tout cas ne l'engage en rien personnellement. Aucun ne supportera de manière sensible les conséquences heureuses ou malheureuses de sa réponse.
Chacun se sent irresponsable. Et la répétition de telles consultations finit par créer des habitudes négatives - qui deviennent en fait des habitudes d'incivisme. "On nous consulte sur des sujets dont on n'a rien à faire, mais on ne nous demande pas notre avis quand il s'agit d'élever nos enfants ou d'organiser le poste de travail que j'occupe".
Ne serait-ce pas là aussi un révélateur de l'état de santé de nos modernes sociétés et de cette forme de démocratie qui, pour reprendre la définition que donne le Robert, "place l'origine des pouvoirs dans la volonté collective des citoyens" ?
Or la volonté, c'est la "faculté de se déterminer", c'est "l'intention déterminée d'accomplir ou de faire exécuter quelque chose", c'est "l'énergie, la fermeté morale". Autant dire que le fait de vouloir - avec tout ce que cela sous-entend de conscience, de force de conviction, de nécessité, de mobilisation de tout l'être - suppose de connaître, de comprendre le pourquoi et le comment. Il ne peut y avoir acte de volonté, sans au préalable acte de connaissance et de compréhension.
Quant à l'idée de volonté collective, on cherche en vain quelle réalité elle recouvre : il ne peut exister que des volontés personnelles, conscientes. La volonté collective est un mythe.
En revanche, plusieurs volontés personnelles peuvent se rencontrer, se trouver en accord, se joindre en fonction, d'une compétence, d'une responsabilité, d'un intérêt communs. Ce qui suppose un héritage commun, un même cadre de références, susceptibles de déterminer des objectifs à atteindre qui soient désirés par les uns comme par les autres...
Ce qui suppose aussi un langage commun et un même sens du possible, une même connaissance des réalités pour déterminer une convergence dans les volontés d'agir sur ces réalités.
Dans la vie quotidienne des entreprises, la tentation existe pour céder à la mode, aux idées qui sont dans l'air - de consulter "les travailleurs" sur un certain nombre de questions.
Telle cette consultation réalisée dans un atelier de mécanique où tout le monde fut appelé à voter pour choisir entre deux types de machines à renouveler - tout le monde, y compris la femme de ménage puisqu'elle comptait à l'effectif de l'atelier... Mode de pure démagogie - "cet art de faire croire aux gens qu'ils sont les rois alors qu'on les prend pour des billes".
Car bien sûr comme on ne peut laisser une telle décision au hasard de choix incompétents et irresponsables, la question a été posée par les "compétents" dans des conditions telles qu'elle appelle la réponse souhaitée. Et pendant ce temps la malheureuse femme de ménage - qui a voté sur des sujets qu'elle ignore - se voit imposer, sans consultation préalable, le modèle de seau ou de produit d'entretien avec lequel elle est tenue de donner un bon résultat.
Car c'est là le revers de cet appel à la "volonté générale". Il suppose presque toujours la confiscation du pouvoir personnel dans les domaines où l'on a compétence, responsabilité, intérêt direct.
Et pourtant ce sont bien là les critères simples qui permettent de guider pratiquement la conduite dans des domaines aussi délicats, aussi discutés, que l'information et la consultation.
Qui faut-il informer et sur quoi? Il faut informer sur les choses auxquelles les gens s'intéressent et aussi - les deux conditions sont nécessaires - sur lesquelles ils assument une responsabilité, c'est-à-dire dont ils subiront personnellement les conséquences positives ou négatives.
Et qui faut-il consulter? Autrement dit auprès de qui faut-il recueillir des informations avant de prendre une décision? Qui faut-il "mettre dans le coup"?
Ceux qui ont intérêt, responsabilité et au moins une certaine compétence, même partielle.
S'il faut augmenter Paul ou ne pas augmenter Pierre, je n'ai pas à consulter leurs collègues parce qu'ils n'y assument aucune responsabilité: cela "ne les regarde pas". Je n'ai pas davantage à leur communiquer la feuille de paye de Pierre ou de Paul. Par contre cette augmentation ne peut être faite sans consulter ceux qui ont une responsabilité dans le comportement de Paul et de Pierre, ceux qui ont des comptes à rendre sur le résultat de leur travail : leur chef immédiat, et probablement aussi le supérieur du chef.
Et s'il faut apporter une modification sur un poste, installer un nouvel outil, il faut consulter celui qui tient le poste - qui vivra les conséquences positives et négatives du changement - qui a donc une responsabilité, un intérêt direct ; tandis qu'il est inutile de consulter des gens qui n'auraient qu'une "opinion" sur les "conditions de travail".
COMPÉTENCETrois critères réunis qui permettent de dissiper bien des hésitations.
RESPONSABILITÉ
INTÉRÊT
Trois critères hors desquels les gens auront toujours le sentiment plus ou moins vague d'être manipulés.
Par Yves | Avant | 03/09/2005 11:18 | Après | Questions de fond | aucun commentaire |