Parmi les fondamentaux du management, la responsabilisation occupe une place incontournable. Etre responsable, c'est répondre de ses actes, c'est à dire en assumer les conséquences. Cette qualité est propre à toute personne humaine, libre et douée de raison. On peut donc se demander pourquoi la question de la responsabilisation devient aussi cruciale dans le monde de l'entreprise. Est-ce à dire qu'en pénétrant sur leur lieu de travail, les "travailleurs" abandonnent toute conscience et toute liberté ? Si l'entreprise ne commençait pas par déresponsabiliser ses propres collaborateurs, on ne voit pas bien pourquoi la question se poserait...
Dans ses écrits de guerre, Saint Exupéry y voyait un effet pervers de l'Organisation :




" Car, que signifie "responsable" ?
Ça signifie exactement que la logique n'étant pas capable de saisir les événements à venir dans toute leur complexité, il est impossible de réduire les hommes au rôle de rouages d'une machine qui aurait pour mission de créer.
Chaque fois que l'on fonde un organisme, on dessert -par définition- la création.
Chaque fois que l'on crée une pente dans un homme, on sert la création.
Toujours cette image de l'eau. L'eau de votre baignoire qui pèse sur le plancher se débrouille toujours pour passer.
Au lieu de créer des organismes, vous feriez mieux de créer des chefs. Mais des chefs responsables. Et, le chef, s'il est responsable, vous verrez s'il accepte de ses subordonnés qu'ils ne soient pas, à leur tour, responsables.
Ce sera une belle cascade. Un miracle."

Par construction, toute organisation recherche l'élimination de l'incertitude. Les normes, les procédures, les modes opératoires résultent d'un effort colossal de description de la complexité du travail pour garantir "robustesse" et "répétabilité" des résultats voulus. Cet effort d'intelligence de la réalité a souvent pour conséquence l'élimination du facteur humain, cause de variabilité imprévisible et insupportable des process. Les espaces de liberté laissés aux personnes sont donc volontairement réduits, au point d'en faire les rouages irresponsables décrits par Saint Exupéry.

Or la complexité du réel est toujours plus forte que l'intelligence de l'organisateur. Les entreprises ont donc un sérieux défi à relever : plus l'organisation semble rationnellement nécessaire, plus il faut combattre sa logique interne en humanisant le travail, c'est à dire en ménageant des espaces de liberté à des personnes responsables. Comme auraient pu le dire les Shadoks, plus il faut s'organiser, plus il faut se désorganiser...

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