Le gouvernement tente de réformer le « dialogue social ». Le projet vise principalement à s’interdire toute intervention pendant un temps durant lequel, organisations syndicales et patronales négocieraient. En cas d’échec, le gouvernement reprendrait la main. Le 10 octobre, Monsieur Chirac, devant le Conseil Economique et Social, appelait les syndicats à « sortir de la logique du conflit…fonder une culture de la négociation, du compromis, de la responsabilité ». L’essai sera-t-il transformé ?

Il y a deux manières de concevoir négociation et dialogue. 

  • Celle du « sens commun », d’abord. Il s’agit alors de rechercher la solution la plus juste – ou la moins injuste – sur laquelle on peut trouver un accord qui favorise durablement la vie commune. Chaque partie doit y trouver son compte et des liens stables s’établissent qui permettent d’adapter progressivement les solutions par de nouvelles négociations. Si ils procèdent de la confiance et de l’estime mutuelle, si ils cherchent à promouvoir la solution la plus juste et l’accord, condition d’une entente durable, dialogue et négociation sont alors les instruments d’un mieux-être personnel et collectif. Ils renforcent les liens entre les personnes et les communautés dont elles vivent.
  • Et puis il y a celle qui vise à se montrer le plus fort, à éliminer ou affaiblir un adversaire. Le dialogue à pour but de se tromper mutuellement. Dialogue et négociation, loin d’être des moyens d’entente, sont alors des armes de lutte qui procèdent du mépris, du parti pris. Si on parvient à un accord, il n’est que la conséquence d’un rapport de force à un moment donné, il n’est qu’une étape qui favorisera la neutralisation, voire l’élimination ultérieures de l’autre partie. On n’hésite pas alors à le dénoncer ou à ne pas respecter les engagements qu’il suppose. Dialogue et négociation ne visent pas à se comprendre, à s’entendre, à créer des liens, mais à vaincre et dominer. « Nous appelons BIEN ce qui a triomphé. Le succès, pourvu qu’il soit implacable et farouche, pourvu que le vaincu soit bien vaincu, détruit, aboli, sans espoir, le succès justifie tout », écrivait Max Weber(*).

Ne peut-on pas affirmer que cette manière de voir est depuis longtemps et toujours d’actualité ? Sans parler des relations internationales, du monde politicien ou des débats télévisuels, nous la retrouvons trop souvent dans les relations commerciales, dans la façon de traiter concurrents et fournisseurs. Mais aussi dans celle d’aborder les questions sociales.

Si le projet gouvernemental consiste à encourager la négociation avec des partenaires qui affirment poursuivre des intérêts opposés, si leur position est de toujours dire non, si les accords conclus ne sont que des tremplins pour faire plier l’adversaire… il ne faut plus parler de dialogue.

Des « partenaires » qui revendiquent de tels principes d’action se discréditent pour parler au nom de leurs mandataires qui, eux, souhaitent l’entente durable sur des solutions justes, c'est-à-dire qui prennent en compte les vrais enjeux. Pour dialoguer et négocier il faut viser les mêmes buts, avoir des repères communs,  parler le même langage.  

Alors seulement il est possible de se comprendre et de s’entendre, de travailler et de vivre  ensemble. Une collectivité ne peut fonctionner si les liens interpersonnels et inter communautés ne sont pas solidement et durablement tissés. Faute de quoi, se perpétue le désastre de la Tour de Babel.

 (*) Revue de métaphysique et de morale 1894 p 549

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