Individualiser les salaires (1) - Déjouer les pièges
Des rencontres organisées par CPE autour du thème de l'individualisation des salaires ont réuni des dirigeants, responsables de services, cadres et agents de maîtrise, mais aussi consultants et psychosociologues.
Les discussions ont permis de recenser bon nombre d' objections à ce que l’on nomme salaire individualisé, rémunération personnalisée ou encore, de façon plus large, paye au mérite.
Mais aussi d’y répondre point par point, à la lumière des réalisations très diverses évoquées lors de ces rencontres. Le chemin est parsemé d’embûches, les entreprises qui se sont attelées à la tâche en témoignent. Il ressort du débat que loin d’être le gadget découvert au dernier concours Lépine des DRH, l’individualisation des salaires relève de la politique, donc de la volonté éclairée des dirigeants.
Nous relatons, à partir des objections ou obstacles recensés, différents points de réflexion dont l'utilité n'échappera pas à ceux qui se posent la question : salaire individualisés : Pourquoi ? Comment ?
Mais l’individualisation des salaires a d’abord pour but de reconnaître les services et l’apport de chacun. C’est d’abord une question de justice de faire en sorte que les personnes soient distinguées en fonction de leur contribution personnelle à la réalisation de l’objectif commun.
Le salaire personnalisé, ainsi que toutes les autres mesures de reconnaissance sont la mise en œuvre d’une ligne de conduite, d’un principe de gouvernement de l’entreprise qui vise à placer les collaborateurs dans la situation où ils ont intérêt à bien faire. Il s’agit de les encourager à bien remplir leur mission.
Quand ils constatent qu’ils sont justement reconnus, en résultent une plus grande efficacité, une meilleure productivité et donc une compétitivité accrue.
Il est démoralisant pour qui travaille consciencieusement de constater que le « tire-aux-flanc » bénéficie des mêmes salaire et avantages, sous prétexte de l’application d’un système tel que « à poste égal, salaire égal », « à rendement égal, salaire égal » ou « à ancienneté égale, salaire égal ». Quelles satisfactions, quelle reconnaissance peuvent éprouver ceux que l’on a enfermés dans les « grilles », « classifications », « quotas »…qui jamais ne prennent en compte l’apport personnel ?
« Je ne peux rien faire pour vous, car vous êtes au maximum de votre coefficient ! »…Combien de fois ce propos a été tenu à qui osait demander une petite « distinction » !
L’individualisation ressort d’abord de la justice : rendre à chacun ce qui lui est dû. C’est une condition indispensable à l’efficacité économique.
La reconnaissance est le résultat de multiples actions du management au quotidien.
C’est faire en sorte que les collaborateurs obtiennent réponse aux questions qu’ils posent, que le travail soit expliqué, qu’ils perçoivent clairement le lien entre leur tâche et l’objectif poursuivi. Ce sont les informations diffusées spontanément quand elles touchent leur domaine de responsabilité, sans être obligés de quémander les infos qui les concernent.
Reconnaître les personnes c’est aussi les consulter sur tout sujet où leur compétence, leur responsabilité et leur centre d’intérêt sont en jeu. C’est la possibilité de prendre des initiatives dans l’organisation du travail. C’est laisser une certaine marge d’autonomie dans la manière d’accomplir les missions. Mais c’est surtout que soient pris en considération leurs difficultés, leurs efforts, leurs qualités.
Cela suppose qu’ils soient connus et reconnus de leur responsable hiérarchique immédiat, qui doit adapter règlements et procédures en fonction de leur situation personnelle - aménagement d’horaires, formation, prêts, avances, mutations, polyvalence et polycompétence…
Alors, le salaire personnalisé a un sens. Il est un des éléments d’une ligne de conduite, d’une politique qui tend à mettre en valeur et à reconnaître la personne.
Tous s’accordent pour dire que la mise en œuvre d’un salaire personnalisé sans ces préalables indispensables est vouée à l’échec.
La « recette » est en effet utilisée depuis longtemps.
Ainsi, la personne payée « au poste » touche une « prime de polyvalence » si elle accepte d’en tenir plusieurs ; une « prime d’idée », si elle fait des suggestions ; une « prime de service », si elle fait preuve d’adaptabilité et d’esprit d’entraide ; une « prime de ponctualité », si elle arrive à l’heure ; une « prime d’assiduité », si elle ne prend pas les congés maladies auxquels « elle a droit » ; une « prime de qualité », si elle ne sort pas des rebuts ; une « prime d’efficacité », si elle fait ses quotas…
A-t-on analysé la perversité de telles pratiques ? La personne est payée pour occuper un poste, tenir une fonction, et seulement pour cela. Pour le reste (initiative, disponibilité, polyvalence, entraide, idées…), dont l’entreprise, le service, l’équipe ont impérativement besoin, on a recourt à moult variétés de « carottes » !
De plus, un tel système de primes met il vraiment le collaborateur en situation d’avoir intérêt à bien faire ? N’est il pas en droit, au risque de perdre ses primes, de faire du sale travail, de prendre « ses droits à maladie », de refuser d’aider ses co-équipiers, de garder ses idées, de faire un bras d’honneur au lieu de changer de poste…puisque de toute façon, il sera au minimum payé au salaire du poste ? « C’est pas ma qualification, je ne suis pas payé pour ça ! »
Par ailleurs, est-il juste qu’un collaborateur voit son salaire amputé de la prime sous prétexte que le niveau de qualité a baissé (ce peut être indépendant de son propre travail, ou le fait d’une erreur personnelle qu’il a signalée…auquel cas il a rendu service !) ; ou qu’il a manqué de ponctualité, alors même qu’il est venu travailler, en retard certes, mais malgré des ennuis personnels ; de perdre la prime de polyvalence, parce qu’il n’a pas été sollicité pour changer de poste ; de ne pas avoir de prime pour l’idée émise mais non prise en considération par un chef qui n’avait « pas de temps » à lui consacrer ou…préférait la garder pour lui ?
Dans quelle situation met-on le chef, qui dans un souci de justice va "bricoler", pour ne pas dire "magouiller", afin de ne pas pénaliser un collaborateur méritant mais malchanceux ? N'ouvre-t-on pas la porte à tous les abus ?
Est-il sain qu’un salarié voit ses revenus varier d’un mois à l’autre ? A-t-on pris la mesure des conséquences matérielles et psychologiques de telles pratiques ?
Enfin, l’expérience montre que tôt ou tard, les systèmes de primes subissent toujours le même sort : la difficulté de s’y retrouver, la complexité de la gestion, les « bricolages » des responsables de service pour tenter d’être plus justes, la lassitude ou le laxisme conduisent à des applications uniformes. Et un jour, elles sont intégrées aux salaires…jusqu’à ce que de nouvelles primes apparaissent pour stimuler idées, assiduité, ponctualité, qualité…
Les primes sont justifiées pour reconnaître des circonstances ou un fait exceptionnels. En aucun cas, elles ne devraient exister pour reconnaître les qualités nécessaires à l’accomplissement normal du travail quotidien. Demander aux personnes d’apporter esprit d’équipe, assiduité, polyvalence, souci de la qualité, suggestions…ce n’est pas exiger des comportements exceptionnels. Le salaire, et non des primes, doit les prendre en compte ; car de telles attitudes quotidiennes, permanentes rendent le travail plus facile aux autres et permettent une efficacité meilleure et durable.
Une piste de réflexion pour la suite des débats :
Sur quoi doit porter le jugement qui déterminera le salaire personnalisé ? Sur la personne ? Sur les services rendus par la personne ?
Cette question ouvre une porte de sortie à l’objection de « subjectivisme ».
Les discussions ont permis de recenser bon nombre d' objections à ce que l’on nomme salaire individualisé, rémunération personnalisée ou encore, de façon plus large, paye au mérite.
Mais aussi d’y répondre point par point, à la lumière des réalisations très diverses évoquées lors de ces rencontres. Le chemin est parsemé d’embûches, les entreprises qui se sont attelées à la tâche en témoignent. Il ressort du débat que loin d’être le gadget découvert au dernier concours Lépine des DRH, l’individualisation des salaires relève de la politique, donc de la volonté éclairée des dirigeants.
Nous relatons, à partir des objections ou obstacles recensés, différents points de réflexion dont l'utilité n'échappera pas à ceux qui se posent la question : salaire individualisés : Pourquoi ? Comment ?
1- Individualiser les rémunérations ? Pourquoi ?Pour augmenter la productivité et améliorer la compétitivité… Pas question de nier ce besoin impérieux.
Mais l’individualisation des salaires a d’abord pour but de reconnaître les services et l’apport de chacun. C’est d’abord une question de justice de faire en sorte que les personnes soient distinguées en fonction de leur contribution personnelle à la réalisation de l’objectif commun.
Le salaire personnalisé, ainsi que toutes les autres mesures de reconnaissance sont la mise en œuvre d’une ligne de conduite, d’un principe de gouvernement de l’entreprise qui vise à placer les collaborateurs dans la situation où ils ont intérêt à bien faire. Il s’agit de les encourager à bien remplir leur mission.
Quand ils constatent qu’ils sont justement reconnus, en résultent une plus grande efficacité, une meilleure productivité et donc une compétitivité accrue.
Il est démoralisant pour qui travaille consciencieusement de constater que le « tire-aux-flanc » bénéficie des mêmes salaire et avantages, sous prétexte de l’application d’un système tel que « à poste égal, salaire égal », « à rendement égal, salaire égal » ou « à ancienneté égale, salaire égal ». Quelles satisfactions, quelle reconnaissance peuvent éprouver ceux que l’on a enfermés dans les « grilles », « classifications », « quotas »…qui jamais ne prennent en compte l’apport personnel ?
« Je ne peux rien faire pour vous, car vous êtes au maximum de votre coefficient ! »…Combien de fois ce propos a été tenu à qui osait demander une petite « distinction » !
L’individualisation ressort d’abord de la justice : rendre à chacun ce qui lui est dû. C’est une condition indispensable à l’efficacité économique.
2- La reconnaissance des personnes ne se limite pas au salaire.Ce n’est même pas d’abord une question de salaire.
La reconnaissance est le résultat de multiples actions du management au quotidien.
C’est faire en sorte que les collaborateurs obtiennent réponse aux questions qu’ils posent, que le travail soit expliqué, qu’ils perçoivent clairement le lien entre leur tâche et l’objectif poursuivi. Ce sont les informations diffusées spontanément quand elles touchent leur domaine de responsabilité, sans être obligés de quémander les infos qui les concernent.
Reconnaître les personnes c’est aussi les consulter sur tout sujet où leur compétence, leur responsabilité et leur centre d’intérêt sont en jeu. C’est la possibilité de prendre des initiatives dans l’organisation du travail. C’est laisser une certaine marge d’autonomie dans la manière d’accomplir les missions. Mais c’est surtout que soient pris en considération leurs difficultés, leurs efforts, leurs qualités.
Cela suppose qu’ils soient connus et reconnus de leur responsable hiérarchique immédiat, qui doit adapter règlements et procédures en fonction de leur situation personnelle - aménagement d’horaires, formation, prêts, avances, mutations, polyvalence et polycompétence…
Alors, le salaire personnalisé a un sens. Il est un des éléments d’une ligne de conduite, d’une politique qui tend à mettre en valeur et à reconnaître la personne.
Tous s’accordent pour dire que la mise en œuvre d’un salaire personnalisé sans ces préalables indispensables est vouée à l’échec.
3- La solution : des primes ?Les participants reconnaissent unanimement la nocivité des systèmes « classiques » de rémunération, tant pour les personnes (sentiment d’injustice, et à terme, démotivation) que pour les entreprises (inefficacité, triche, laisser-aller…).Ne peut-on, alors, pallier les carences de ces systèmes par l’attribution de primes équitablement réparties ?
La « recette » est en effet utilisée depuis longtemps.
Ainsi, la personne payée « au poste » touche une « prime de polyvalence » si elle accepte d’en tenir plusieurs ; une « prime d’idée », si elle fait des suggestions ; une « prime de service », si elle fait preuve d’adaptabilité et d’esprit d’entraide ; une « prime de ponctualité », si elle arrive à l’heure ; une « prime d’assiduité », si elle ne prend pas les congés maladies auxquels « elle a droit » ; une « prime de qualité », si elle ne sort pas des rebuts ; une « prime d’efficacité », si elle fait ses quotas…
A-t-on analysé la perversité de telles pratiques ? La personne est payée pour occuper un poste, tenir une fonction, et seulement pour cela. Pour le reste (initiative, disponibilité, polyvalence, entraide, idées…), dont l’entreprise, le service, l’équipe ont impérativement besoin, on a recourt à moult variétés de « carottes » !
De plus, un tel système de primes met il vraiment le collaborateur en situation d’avoir intérêt à bien faire ? N’est il pas en droit, au risque de perdre ses primes, de faire du sale travail, de prendre « ses droits à maladie », de refuser d’aider ses co-équipiers, de garder ses idées, de faire un bras d’honneur au lieu de changer de poste…puisque de toute façon, il sera au minimum payé au salaire du poste ? « C’est pas ma qualification, je ne suis pas payé pour ça ! »
Par ailleurs, est-il juste qu’un collaborateur voit son salaire amputé de la prime sous prétexte que le niveau de qualité a baissé (ce peut être indépendant de son propre travail, ou le fait d’une erreur personnelle qu’il a signalée…auquel cas il a rendu service !) ; ou qu’il a manqué de ponctualité, alors même qu’il est venu travailler, en retard certes, mais malgré des ennuis personnels ; de perdre la prime de polyvalence, parce qu’il n’a pas été sollicité pour changer de poste ; de ne pas avoir de prime pour l’idée émise mais non prise en considération par un chef qui n’avait « pas de temps » à lui consacrer ou…préférait la garder pour lui ?
Dans quelle situation met-on le chef, qui dans un souci de justice va "bricoler", pour ne pas dire "magouiller", afin de ne pas pénaliser un collaborateur méritant mais malchanceux ? N'ouvre-t-on pas la porte à tous les abus ?
Est-il sain qu’un salarié voit ses revenus varier d’un mois à l’autre ? A-t-on pris la mesure des conséquences matérielles et psychologiques de telles pratiques ?
Enfin, l’expérience montre que tôt ou tard, les systèmes de primes subissent toujours le même sort : la difficulté de s’y retrouver, la complexité de la gestion, les « bricolages » des responsables de service pour tenter d’être plus justes, la lassitude ou le laxisme conduisent à des applications uniformes. Et un jour, elles sont intégrées aux salaires…jusqu’à ce que de nouvelles primes apparaissent pour stimuler idées, assiduité, ponctualité, qualité…
Les primes sont justifiées pour reconnaître des circonstances ou un fait exceptionnels. En aucun cas, elles ne devraient exister pour reconnaître les qualités nécessaires à l’accomplissement normal du travail quotidien. Demander aux personnes d’apporter esprit d’équipe, assiduité, polyvalence, souci de la qualité, suggestions…ce n’est pas exiger des comportements exceptionnels. Le salaire, et non des primes, doit les prendre en compte ; car de telles attitudes quotidiennes, permanentes rendent le travail plus facile aux autres et permettent une efficacité meilleure et durable.
4- Le risque de « subjectivisme » ou « côte d’amour »Personnaliser les rémunérations, c’est matérialiser, concrétiser la reconnaissance que l’on a pour une personne. Et pour reconnaître, il faut d’abord connaître, observer, analyser, comparer et juger. Le risque vient du fait qu’il est difficile d’apprécier justement une personne, en raison même de la complexité de l’être humain, tant de celui qui exerce son jugement (acte de l’intelligence) que celui qui en est l’objet.
Une piste de réflexion pour la suite des débats :
Sur quoi doit porter le jugement qui déterminera le salaire personnalisé ? Sur la personne ? Sur les services rendus par la personne ?
Cette question ouvre une porte de sortie à l’objection de « subjectivisme ».
A suivre...
Par Yves | Avant | 28/08/2006 00:52 | Après | Questions de fond | aucun commentaire |