La publication du 2e volet de l'étude sur l'individualisation des salaires a conduit un de nos lecteurs à poser l'objection du risque de subjectivité. Nous avons répondu succintement :
Tout le monde est d'accord pour reconnaître que la justice la plus élémentaire à l'égard de chacun et le souci d'efficacité de l'entreprise exigent de prendre en compte tous les services rendus qui contribuent à la fécondité de l'entreprise.

Seulement, voilà! Ils sont du ressort du JUGEMENT (acte de l'intelligence), et non de la MESURE.Le risque est donc grand de l'erreur humaine, du jugement arbitraire...


Reconnaître et sanctionner la performance

Quelles sont les valeurs de référence, quels sont les critères d'appréciation de la performance dans le travail : que doit-on faire pour progresser, "faire carrière", être reconnu et bien apprécié?
Est performant celui qui atteint les objectifs préalablement fixés.

Mais de quels objectifs s'agit-il ?

Si la performance est réduite à l'obtention de seuls objectifs mesurables -productivité, ratios, marges, quotas, coûts...- le collaborateur n'est-il pas mis dans la situation où son intérêt personnel est d'atteindre ses objectifs à n'importe quelles conditions ?
Ainsi tel chef d'équipe posté, très performant au regard de la productivité, nuit aux objectifs assignés aux postes suivants : il néglige les opérations de nettoyage en fin de poste, ou modifie les réglages des machines pour garder "ses" tours de main, refuse la mobilité des bons compagnons de son équipe...Objectivement, il est performant, puisque ses propres résultats sont conformes aux attentes. Mais sa performance se fait au détriment de l'objectif commun.

Le commercial dont le travail est seulement apprécié sur des objectifs de marge, chiffre d'affaires...peut fort bien empiéter sur les plates-bandes des collègues, négliger la nécessaire concertation avec les services techniques, vendre à la clientèle monts et merveilles qui aboutiront à des contentieux certains avec les collègues, voire judiciaires avec le client.
Pour des raisons de justice - reconnaître à chacun ce qui lui est du - et pour des raisons d'efficacité de l'entreprise, il faut considérer la manière dont sont obtenus les résultats. C'est dire qu'une approche qualitative - se référant aux comportements, au "savoir-être"- est nécessaire, qui permet de les interpréter intelligemment.

Là, la mesure n'est pas de mise. Pas question de recourir aux services d'un compteur qui machinalement enregistrera la performance. Seule l'intelligence permet d'apprécier, de juger : action humaine, qui à partir de l'observation des faits, analyse, considère, compare, rapproche, choisit, tranche et décide...

La quantification étant impossible, l'appréciation étant le fait d'un homme, apparaît le risque d'arbitraire et de partialité ; goûts, tempéraments, voire humeurs ou faiblesses de celui qui apprécie, mais aussi habileté du collaborateur à se faire bien voir, peuvent entacher le jugement.

D'où l'importance de principes d'action qui doivent avoir pour effet de compenser les limites de chacun ou de neutraliser le cadre "aux dents longues", l'employé courtisan, l'agent de maîtrise "briseur de talents", le collaborateur "cireur de pompes", "combinard" ou "semeur de discordes", le dirigeant "anthropophage".

Quelques pratiques qui sont autant de garde-fous contre l'arbitraire
  • Des références communes à tous
Il importe que les critères d'appréciation retenus soient communs à tous et connus de tous, clairement définis et expliqués. Les critères relatifs à la manière de remplir la mission doivent être identiques quel que soit le niveau ou le secteur de responsabilité.

Travailler en cohésion avec les autres, apporter des "plus" aux autres, faire preuve d'esprit critique et de proposition - toute action profitable pour l'entreprise - doit constituer le patrimoine génétique commun, au delà des domaines de compétence ou de responsabilité (production, service client, administration, commercial, services supports...).

La qualité de service d'un responsable d'équipe est jugée par ses propres supérieurs sur les mêmes valeurs qui servent à l'appréciation de son personnel, alors même que les résultats chiffrables attendus ne sont pas de même nature.

Premier garde-fou contre l'arbitraire.
  • Jugement factuel
Une appréciation équitable doit porter sur des faits, des actes, des situations. Non sur des "sentiments", des impressions, des jugements de valeur.

Il faut insister sur le fait qu'il s'agit de juger la qualité des services rendus, non la personne.
Dire de M. du Rang qu'il est disponible, n'est pas probant. Quel est le mètre étalon de la disponibilité? Nous sommes dans le qualitatif et la référence absolue n'existe pas ; par contre, sa capacité à donner la main quand il y a un imprévu, à changer de poste si nécessaire, à être ponctuel aux réunions, à prendre part aux tâches ingrates, à transmettre son savoir, à accueillir le nouveau venu... prouvent la qualité de son service. Autant d'actes qui traduisent une disponibilité incontestable, en même temps qu'un esprit d'équipe, d'entraide, de souci des autres ...
Dire d'un collaborateur qu'il "cache des informations" est un jugement de valeur, qui revient à le traiter de menteur. Lui signaler qu'il n'a pas remonté telle information, qu'il n'a pas évoqué tel problème...c'est s'appuyer sur des faits qui traduisent peut-être, la volonté de cacher, mais qui peuvent être aussi liés à de l'inattention, de la précipitation, de l'oubli, un défaut de discernement de l'importance du sujet...Que ce soit par mensonge, erreur de jugement, manque de temps, le service n'est pas bon. Ce qui est important, c'est de souligner que ces faits perturbent le bon fonctionnement de l'entreprise et ont pour fruit l'inefficacité.
Deuxième garde-fou contre l'arbitraire.
  • Ne jamais juger seul
De plus, les risques de jugement erroné sont réduits si le responsable hiérarchique est tenu d'expliciter son appréciation auprès de ses pairs et de ses propres chefs, à la lumière des critères de l'entreprise. Il doit rendre raison des jugements qu'il porte sur la qualité de service de ses collaborateurs, des décisions qu'il veut prendre les concernant avant de décider.

Cela vaut pour toute action importante touchant aux personnes : tenue d'un entretien d'appréciation, mobilité, promotion, augmentation, élargissement du champ de responsabilité...Il doit prendre conseil et expliquer les motifs de ce qu'il veut faire.Aucune décision de cette nature ne peut être prise sans passer par cette étape. C'est une pratique commune dans certaines entreprises, clairement connue de tous.
Ces pratiques sont excellentes car elles favorisent une bonne harmonie interne.

Le management y est cohérent, parce que soudé par une même règle pour "vivre ensemble", un même langage. Pairs et supérieurs hiérarchiques aident à formuler le jugement, contibuent par leurs questions à cerner les réels motifs de "l'appréciateur". Ainsi peut être précisé le contenu factuel des critères, modérée l'excessive sévérité de l'un, mis en évidence le laxisme d'un autre. C'est enfin la possibilité d'évoquer le cas des collaborateurs "discrets", "modestes" et autres dont on n'entend jamais parler et qui sans cette pratique, seraient des laissés pour compte.

Troisième garde-fou contre l'arbitraire.
  • Périodicité des révisions de salaire ?
Quand les révisions de salaire se font à date prédéterminée, ne pousse-t-on pas les "petits malins" à se "faire mousser"? Car alors, le collaborateur est mis dans la situation où il a intérêt à se faire valoir, à "passer la brosse à reluire", à "chausser les souliers à crampons" jusqu'à l'obtention de la couronne, pour, très vite "enfiler les charentaises"...jusqu'à la prochaine période de distribution.

Le responsable hiérarchique peut "se faire avoir" par un zèle tout temporaire, une disponibilité ponctuelle. A contrario, il est aisé d'imaginer ce qui peut advenir au collaborateur consciencieux, fiable, régulier...qui traverse une période difficile, un "passage à vide" juste au moment de l'augmentation de salaire!

Il y a des entreprises où les augmentations peuvent se faire tout au long de l'année, et où des sanctions (récompenses ou blâmes) peuvent être prises au jour le jour.

Le collaborateur qui constate que son patron direct le "suit", s'intéresse à lui et a l'initiative de la sanction, n'a plus qu'un souci: bien travailler et mettre en oeuvre toutes les qualités d'un bon service. Il sait que sa contribution sera mise en valeur et reconnue sans être obligé de faire des démarches, de jouer la comédie, de quémander son salaire ou de la reconnaissance.

Quatrième garde-fou contre l'arbitraire.

Les réalisations mettent en évidence la nécessité de fixer des objectifs quantitatifs, donc mesurables; ce sont des points de repères, des indicateurs, des moyens de suivi de l'activité, tant pour le collaborateur que pour l'entreprise. Ils sont un moyen d'incarner et de rendre visibles les actions menées. Mais encore faut-il que les actions soient aussi sujettes à appréciation.

Comme le dit un patron à son encadrement :
"Celui qui veut améliorer son score de saut en hauteur n'a pas les yeux rivés sur la barre; son coach l'aide à travailler le "COMMENT" améliorer sa performance.C'est ce que j'attends de vous vis à vis de vos collaborateurs".

Mais les entreprises ont encore des bien des leçons à nous donner. Nous y reviendrons.

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