Le récent décès du directeur d’une de nos grandes écoles a été  l’occasion, en France, de chanter les louanges d’un homme qui avait eu l’audace, le courage, l’héroïsme, la grandeur d’âme…d’ouvrir tout azimut et à tout venant les portes de l’établissement dont il avait la charge. D’ailleurs, n’allait-il pas, dernière provocation avant l’ultime, supprimer les épreuves de culture générale ? Il y aura bien dans l’intelligentsia un successeur pour parfaire l’œuvre du défunt, au nom de la « lutte contre les élites ».
   Il y a quelques années, le Sénat, d’un doigt accusateur, avait stigmatisé l’élitisme des classes préparatoires aux grandes écoles ; les conditions d’accès seraient réservées à des élèves de milieux aisés et telles qu’on ne trouve « plus au sein du vivier la diversité des talents et des personnalités ». Si la diversité est absente, la cause ne serait-elle pas aussi et surtout, dans les critères qui servent à sélectionner cette future « élite » ? Etrange perversion d’un mot, détourné de son sens premier qui désigne le groupe des meilleurs - « ceux qui ont été triés » (electos)- pour finalement le réduire à une question de gros sous ou de milieu social !
   Les élites artisanale, paysanne, artistique, médicale, enseignante, dirigeante, sportive, ouvrière, étudiante…rassemblent ceux qui, par leurs actions liées à leur état, représentent la  plénitude de la fonction ; ils maîtrisent leur art ou leurs pratiques à un niveau proche de la perfection ; leur comportement sert de référence sociale, d’exemple à imiter, d’idéal à poursuivre.
  
   Les élites ont le rôle naturel et spontané d’une vraie aristocratie 
: faire progresser, tirer vers le haut toute la société. Qui se prétend démophile  devrait avoir à cœur d’agir en vue de permettre à tout un chacun, s’il le peut, de parvenir au rang d’élite. Un chef d’entreprise nous disait : « Pour être compétitif, nous avons besoin de l’élite dans tous les corps de métiers. Tout notre effort depuis des années porte sur le choix des meilleurs  pour les placer dans des postes où leur mission est en priorité d’élever les moins favorisés, de sorte qu’ils fassent mieux et plus. Cette traction vers le haut fait que chacun arrive à trouver sa place où il peut donner le meilleur de lui-même…Pour cela il faut des hommes qui aient le souci de valoriser leurs semblables. Ce sont les membres du management, qui ont pour tâche essentielle de faire grandir les autres et ainsi de préparer demain ».
  
   Etre pour ou contre les élites n’a aucun sens. En raison des différences entre les hommes, donc des inégalités, il n’y a pas de société sans hiérarchie, donc sans sélection. Qu’il plaise ou pas, c’est un fait. Même les sociétés qui ont combattu les élites en  se prétendant égalitaires sécrètent leurs élites : Nomenklatura, Compagnons de la Libération, Girondins, Soldats de la Révolution…Tous égaux, certains plus que d’autres, disait l’humoriste ! Mais les conséquences sont là. Gil Jouanard note dans « Elitisme et démocratie » : « L’école de la République aurait dû…ne jamais céder à la tentation démagogique de la facilité qui incite à laisser chacun mariner dans son bain originel et à s’y développer à la seule mesure de ses médiocres ambitions ». C’est bien là le rôle de l’élite : le plus fort à l’aide du plus faible, le meilleur au service du moins bon, l’attraction de la perfection pour découvrir, encourager, développer des talents cachés.  
   
   La vraie question est de savoir quels sont les critères de sélection qui permettent la constitution de ces élites et  quelle hiérarchie de valeurs va permettre de discerner les meilleurs?
Les élites d’une société sont l’exact reflet de ses fondements, exprimés par des modèles comme le Kalos kaï Agathos grec, l’Honnête Homme du Grand Siècle, ou le Chevalier du Moyen Age. On a dit que les peuples valent ce que valent leurs élites. Il y a tout lieu de penser que des sociétés qui vivent à l’horizontale, qui ont perdu le goût du Vrai, du Beau et du Bien aient les élites dont la devise est  « business, pain et jeux ».

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