Pour satisfaire à nos besoins, et pallier nos faiblesses, pour compenser nos propres insuf­fisances mais aussi pour atteindre chacun des buts que nous nous donnons, nous avons nécessaire­ment recours aux autres dont les talents complè­tent les nôtres. Tel est le fondement de toute vie sociale et de toute communauté. C'est la raison d'être des institutions.

La vie et la prospérité d'une entreprise ne peu­vent se réduire à la seule valeur des personnes qui la composent. Ce n'est pas parce qu'une entreprise connaît mauvais esprit, tensions, vols, sabotages, « je m'enfoutisme »... que les personnes y sont fon­damentalement mauvaises. Si tel était le cas, il suf­firait de débaucher tout le monde pour n'engager que des gens vertueux. Reste que si l'institution est mauvaise, bien des hommes vertueux y perdront vite leurs qualités.

Si l'efficacité d'une entreprise se ramenait à une question de personnes, le succès, le bon cli­mat, les progrès réalisés, devraient être le fait de gens d'exception, de personnalités hors du com­mun. Or, l'expérience nous enseigne que l'excel­lence consiste à faire avec des gens ordinaires des choses extraordinaires. Dire que l'entreprise serait « performante» si les individus qui la constituent étaient parfaits, est une façon de parler pour ne rien dire. Il reste à prouver - et ce serait plus difficile - qu'on peut avoir de bons collaborateurs, en grand nombre et à tous les niveaux dans une entreprise où règnent courts-circuits et désaveux, organisation technocra­tique et bureaucratique, réglementations tatillon­nes et procédures complexes, luttes intestines et conflits sociaux.

C'est que, par-delà les hommes, il y a les institutions. Une communauté par ses structures, ses modes de fonctionne­ment, les références qui l'animent, les règles qui l'administrent… exerce sur les hommes une influence trop souvent sous-estimée. Elles exercent un pouvoir considérable : une fois fondées, elles agissent sur les personnes ­à leur profit ou contre elles. Il arrive même qu'elles agissent contre ceux qui les ont instaurées.

Il y a des entreprises qui abaissent les hommes :
  • parce que les dirigeants ne s'y sont pas préoccupés de l'art d'y vivre ; chacun agit en ordre dispersé; aucune règle de conduite ne s'en dégage; les personnes y sont « dans le flou» ; c'est la loi de « la débrouille » qui se fait jour ; le plus fort gagne.
  • parce qu'un manque de réflexion a conduit à doter la communauté de règles qui tendent à atrophier les personnes, à les dévaloriser, à les « pousser au crime ».
Ces entreprises secrètent une qualité de mœurs, ­une façon de vivre où les hommes sont placés dans un climat tel qu'il faut être un héros ou doté de grands mérites pour y remplir sa mission.

Lorsque des désordres se produisent, il est toujours possible à des hommes de qualité d'y remédier localement, ponctuellement. Pourtant, il est difficile, sans découragement et lassitude de corriger de manière durable les effets pervers engendrés par une institution. De plus, ces actions correctives sont source de pertes d'énergies con­sidérables, et de détérioration des hommes.

Les institutions peuvent corrompre les hommes. Mais elles peuvent aussi .les faire progresser. C'est pour cela que la tâche toute particulière des dirigeants est d'y être attentifs car les hommes subis­sent l'influence du cadre et du milieu dans lequel ils vivent.

Les moeurs, les usages, les pratiques, la qua­lité des comportements qui ont cours dans une communauté, sont révélateurs de la qualité des ins­titutions: la question morale ressort d'abord de la politique, c'est-à-dire des prin­cipes de gouvernement qui président au fonction­nement de la communauté.

Si les dirigeants usent de leurs réels pouvoirs de direction, ils peuvent beaucoup pour la progres­sion de leurs entreprises et des personnes. Car des principes de gouvernement respectueux ou non des besoins fondamentaux de la nature humaine, dépendent et découlent les comportements positifs ou négatifs et en conséquence, l'efficacité et la fécondité de l'entreprise.

Dès lors, il convient que tout soit ordonné :
  • pour que le plus grand nombre de personnes s'améliore;
  • pour qu'une part de bien-être matériel, intellec­tuel, et moral soit accessible à tous, tant il est vrai que « un minimum de bien-être est nécessaire à l'exercice de la vertu» ;
  • pour qu'une vie morale soit possible, sans faire preuve de vertus héroïques;
  • pour que personnes et services vivent en com­munion de pensée et d'objectifs;
  • pour que l'entreprise connaisse la paix néces­saire à l'atteinte du but commun.
Cela veut dire que chaque personne doit trouver, en entrant dans l'entreprise, non pas une diminution mais un accroissement de ses capacités ; non pas une limitation mais une extension de ses pou­voirs . Sinon elle ­est plus à fuir qu'à rechercher.

Si des institutions saines ne suffisent pas à engendrer harmonie et efficacité, des institutions malsaines les empêchent d'éclore ou les détruisent.

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