Dix moineaux sont sur une branche ; un chasseur tire, deux oiseaux tombent, combien en reste-t-il ? Huit dit la logique. Zéro dit le bon sens, car tous envolés.
Cette conclusion seule est objective et vraie, puisque en rapport avec la réalité.

Le moral d’un peuple se mesure-t-il à l’aune du PIB ?
Son intérêt pour la culture s’apprécie-t-il en fonction du nombre d’entrées dans les musées ou à la somme des subventions publiques distribuées ?
Le goût de la belle ouvrage, ou l’esprit d’entreprise, combien cela doit-il peser dans les ressources du prochain budget de la nation ?
Le climat social, quel prix ?
De quel montant doit être le pouvoir d’achat ?...
Autant de questions qui paraissent stupides. Et pourtant !

Peut-il y avoir science hors du quantitatif ?

Les succès remportés par les mathématiques appliquées aux sciences physiques tendent à accréditer l’idée qu’il ne peut y avoir de science en dehors du quantitatif. Selon ce tour d’esprit, les réalités ne commenceraient à exister ou du moins à être connues de manière « objective », ou encore dignes d’intérêt qu’à partir du moment où elles sont mesurées donc quantifiées.
Bien des intelligences orientées vers les développements exclusivement logiques, sont portées à rejeter les réalités expérimentales qui ne peuvent se quantifier.

C’est là une perversion  dont l’aboutissement est la tendance à substituer aux faits réels des concepts simplifiés susceptibles de déductions selon des modèles mathématiques et affranchis de tout autre contrôle que celui de la logique.
Une courbe,
un graphique
tiennent lieu de preuve
et remplacent l’expérience du terrain,
le jugement de valeur,
et souvent le bon sens
.

Ainsi est éliminé pratiquement toute une part de la réalité et non la moindre, celle qui est d’ordre qualitatif et échappe à toute évaluation quantitative.

Dans les entreprises, en prétendant mesurer, et payer, objectivement le travail, ont été écartés tous les apports spécifiquement humains qui font le « beau travail » : entraide, transmission du savoir, respect de l’outil et des autres, loyauté…Il n’y a effectivement pas d’instrument pour mesurer l’esprit d’équipe ou la capacité à transmettre des informations. Mais tous nous savons d’expérience que cela contribue largement aux résultats chiffrés.

Friedmann constatait naguère que le motif profond des grèves d’OS en Angleterre, en France et en Italie n’était pas une question de niveau des salaires mais la frustration de ne pas voir reconnu et payé leur engagement personnel  dans leur travail. Il est vrai qu’avaient été créés des systèmes tels que « à poste et ancienneté égaux, salaire égal », ou « à quantité égale, salaire égal ». Sous prétexte de mesure, on a été injuste…et inefficace.
Herzberg, sur le même sujet, considérait que ce qui touche à l’environnement du travail- salaires, conditions matérielles de travail – n’a qu’un effet très limité sur la motivation à l’égard desquelles il retient cinq facteurs déterminants : personnalisation, initiative, responsabilité, possibilité de progression et promotion. Autant de valeurs de nature qualitative qui ne peuvent se comptabiliser dans une prévision budgétaire ni s’analyser dans un bilan.  Pourtant leur reconnaissance, leur mise en œuvre fournissent des résultats parfaitement quantifiables.

Mutilation du réel
A ne retenir que ce qui est se mesure on perd le sens des réalités.
La tentation est permanente de prétendre quantifier ce qui ne peut l’être. N’y arrivant pas, on l’écarte, comme si cela n’existait pas.  On mutile le réel.
Combien succombent ainsi à la tyrannie des chiffres sans intelligence.

Répondre à cet article