La Jaune et la Rouge,
"revue de la Communauté polytechnicienne"
présente sur internet une voie d'amélioration possible
qui ne devrait pas étonner nos correspondants.

Cet article, signé Vincent Tixier (X61) a, en fait, pour titre :"Revitaliser la hiérarchie et le contrôle de l'administration". Seule la première partie est reproduite ici  du fait de nos préocuupations ...et compétences.

   La bureaucratie à la française s'étouffe et étouffe le pays. Mais on ne peut pas demander à la hiérarchie des administrations, qui a perdu pratiquement tous ses pouvoirs au profit des services centraux, des syndicats et des cabinets ministériels, de conduire une réforme. Comment manœuvrer ce gigantesque corps sans armature ? Avant tout, il faut rendre ses pouvoirs normaux à la hiérarchie et, parce qu'il n'est pas possible de compter seulement sur le bon vouloir et le sens de l'honneur des fonctionnaires, d'examiner le contrôle de l'administration par les élus, dont c'est en principe une fonction majeure.

 

Deux nœuds gordiens


   Un pays étatique, comme la France, doit plus que d'autres avoir une administration efficace. Les comparaisons internationales montrent que ce n'est pas le cas. La bureaucratie à la française s'étouffe et étouffe le pays, son éducation nationale, ses hôpitaux, son système judiciaire, ses institutions culturelles, sa recherche, son système politique, ses entreprises publiques... bref, tout ce qu'elle touche, à commencer par les fonctionnaires eux-mêmes, qui en sont les premières victimes. Enfin le déficit des finances publiques crée du chômage et le chômage du déficit.

   Dans les affaires humaines, la difficulté n'est pas de dire ce qui ne va pas ; c'est de trouver comment débloquer un système. La tentation du simplisme se voit partout. Il y a un fantasme de la révolution imposée par un homme providentiel. Mais les violences créent le chaos, avec effets imprévisibles et dommages collatéraux. Au fond, chacun le sait ; ainsi réclamer une révolution est un moyen de ne rien faire. C'est dommage, parce que nos fonctionnaires, malheureux du système, très largement bien formés, compétents, dévoués, sont le premier moyen de toute réforme (...)

   Dans une entreprise, un effort se propage et s'amplifie par la hiérarchie. Mais aujourd'hui on ne peut pas demander à la hiérarchie des administrations de conduire une réforme. Trop souvent elle a perdu pratiquement tous ses pouvoirs, à tous les niveaux, au profit des services centraux, des syndicats, des cabinets ministériels. Comment manœuvrer ce gigantesque corps sans armature ? Avant tout, il faut rendre ses pouvoirs normaux à la hiérarchie (...)

Cela dit on ne peut pas compter seulement sur le bon vouloir, le sens de l'honneur des fonctionnaires. Le tableau n'est pas complet sans examen du contrôle de l'administration par les élus, dont c'est en principe une fonction majeure. Deuxième nœud gordien : ce contrôle a été neutralisé.


Rendre le pouvoir à la hiérarchie

     Lui donner des objectifs et des outils comptables ; informer, sanctionner ; enfin respecter les quelques règles saines de conduite des affaires humaines.

Tout groupe humain, qui non seulement existe et se perpétue mais a un but, toute équipe de sport, tout commerce, toute industrie, est organisé avec une hiérarchie qui le conduit, qui est responsable et est dotée des pouvoirs qui vont avec la responsabilité. Bien sûr, il y a une hiérarchie dans l'administration ; mais on sait que ses pouvoirs normaux, indispensables, son autorité, ont été rognés, brisés, réduits à rien, par un maquis de règlements et par les empiétements des syndicats. Sauf en partie chez les militaires et la police, où l'autorité de la hiérarchie est imposée par les dangers, et qui précisément ont montré leur capacité à se réformer.

Donner les pouvoirs nécessaires

  

   Ces pouvoirs sont les premiers outils du travail en équipe : d'abord bien sûr celui de commander et sanctionner, de décider de la rémunération pour une part significative, de pouvoir choisir son personnel et de pouvoir s'en séparer, de relayer l'information entre la direction et son personnel, de décider et contrôler dans tous les cas de gestion courante du personnel, de traiter avec les fournisseurs, même aux niveaux les plus modestes. Bien entendu, cela veut dire des recours hiérarchiques dans les cas, rares en pratique, où un supérieur se conduit mal avec ses subordonnés.

Toute décision est prise par un individu

  
    Une commission étudie, débat, propose ; elle ne décide jamais.

Faire la chasse aux courts-circuits

  
   par les syndicats, les services centraux, les cabinets ministériels ; ils déstabilisent et démoralisent la hiérarchie pour augmenter leur pouvoir. Cette suppression doit être institutionnalisée, il faut en faire un droit, avec recours, pour qu'au fil des années la discipline de ne pas court-circuiter les vrais responsables prenne partout.

   Les syndicats existent pour défendre les intérêts des employés. Les justiciables ont des avocats ; les acteurs et les sportifs, des agents ; les employés, des syndicats. Les syndicats n'ont à l'évidence pas à exercer des tâches de direction, sous aucune forme, ni en droit ni en fait, même à travers des commissions ; y compris et surtout la nomination aux emplois, la gestion des carrières, l'information des employés, la définition des objectifs et des pratiques, le choix de l'organisation, la représentation auprès des médias.

Cela démoralise et détruit la direction, cela pervertit le syndicalisme. Ces ingérences absurdes doivent être dénoncées et arrêtées, à tous les niveaux, dans les administrations atteintes, même si des dirigeants ou des politiques égarés y ont consenti.

Placer les services centraux


   achat, gestion du personnel, juridique... en situation de fournisseur, et toutes les fois que c'est possible, préserver la liberté pour un responsable de se débrouiller pour acheter ses fournitures, faire marcher son informatique, organiser ses déplacements, recruter son personnel contractuel, choisir ses locaux...

  Les gouvernants politiques et les cabinets, aussi, doivent s'interdire les courts-circuits et les désaveux. Par exemple, il n'est pas convenable de nommer les adjoints d'un responsable, à fin de le neutraliser. Il doit, bien entendu, les choisir lui-même. Le « parachutage » à des postes de direction, de membres de cabinets ministériels, en général sans expérience managériale, est nuisible. Il donne à haut niveau l'exemple du mépris de l'efficacité, de la compétence, de l'expérience, bref du mépris des hommes et du bien public. C'est au fond un acte de forfaiture, à réprimer comme tel.

Déléguer, faire confiance


   sont les modes normaux de fonctionnement dans le travail en équipe. Des règles minutieuses sont utiles pour les processus de production, pour le pilotage des choses ; elles sont nuisibles pour la direction des gens. Pour ceux-ci la confiance, la considération, l'initiative, de grandes règles simples quasi morales (par exemple l'interdiction des courts-circuits, l'adéquation entre pouvoirs et responsabilité, le devoir d'informer, le droit et le devoir de corriger soi-même ses erreurs, le devoir d'être disponible et à l'écoute pour son personnel, de déléguer...) conviennent mieux dans un monde où l'on respecte les hommes. Toutes les fois que possible, transformer des règlements internes détaillés en règles indicatives et s'en remettre au jugement des responsables.

   La contrepartie de la délégation est, bien entendu, la concertation. Avant toute décision, le responsable doit avoir entendu les gens compétents, responsables, intéressés ; mais eux seuls. C'est une règle importante et difficile à accepter, en particulier quand on veut être le premier à dire la solution miracle, en général factice, alors que la consultation souvent pose puis résout le problème de façon inattendue et qui ne paraît évidente qu'a posteriori.

   Les règles de base du succès dans l'action avec délégation ont été étudiées ; ainsi Thomas F. Gilbert détermine empiriquement six facteurs de succès. Par ordre d'importance décroissante : l'information sur les objectifs (le facteur le plus important et le plus souvent oublié), la disposition des outils, la sanction du succès et de l'insuccès, puis la capacité, la formation, et enfin la motivation (beaucoup de gens mettent la motivation en tête alors que c'est le facteur le moins important ; beaucoup aussi s'égarent sur la formation).

Informer


  
donner des objectifs aux membres de la hiérarchie, il faut qu'ils sachent ce qu'on attend d'eux. Il faut que ce qu'on attend d'eux contienne des objectifs d'efficacité, simples et clairs. Quelques administrations techniques le savent.

   Vérifier que les outils de travail sont disponibles. Bien entendu les pouvoirs de direction discutés ci-dessus sont les premiers outils et les plus importants. Une bonne comptabilité, des contrôleurs de gestion traités avec respect et dont l'opinion est indépendante font merveille. Les solutions techniques sont rarement nécessaires ; l'attirance pour les gadgets est un bon signe d'indifférence aux hommes.

Sanctionner


   Récompenser la réussite, avec des remerciements, des compliments, des honneurs, des récompenses et même de l'argent. L'argent toutefois vient au dernier rang, non au premier, contrairement à ce que croient les cyniques, qui s'imaginent que la rémunération au mérite tient lieu de direction des hommes. Il y a un plaisir du travail bien fait, des objectifs atteints, des défis relevés. En affaires, il y a un proverbe : « Avec des carottes et un bâton, on fait des ânes. » Ce n'est pas l'argent qui fait gagner les sportifs.

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