Les sociétés humaines n’ont jamais pour attributs la perfection et l’infaillibilité : elles ont leurs défaillances, leurs membres commettent des erreurs et des abus. Il n’est pas de jour sans que police, gendarmerie, tribunaux, prisons ne soient vilipendés. Pour peu qu’il tourne mal, tout événement  mettant ces institutions face à  un délinquant donne lieu systématiquement à leur remise en cause par les medias. A croire que les représentants des institutions répressives seraient exclusivement recrutés selon des critères de sadisme, partialité, brutalité, voire d’idiotie… Tout se passe comme si l’intérêt des malfaiteurs prenait le pas sur celui des victimes et de la société.

   Pourquoi une telle vindicte, alors même que chacun peut imaginer ce que serait la vie sociale si ces institutions venaient à disparaître ? Que sont leurs erreurs, excès, abus, faiblesses, voire les turpitudes de quelques uns de leurs membres, en comparaison de leurs services et bienfaits ? Elles sont nécessaires et indispensables.

   Mais l’ampleur de leurs interventions est un indicateur certain de l’état de santé du corps social : un rôle prépondérant est signe de maladie dangereuse. En 1971, Jean Cau, ancien secrétaire de J.P.Sartre, notait : « Naguère encore, la société possédait ses policiers – si j’ose dire et si j’ai recours au sens étymologique – spontanés. C’était, par exemple, le père, le chef aux mérites acquis et reconnus, le prêtre. L’ordre n’était pas tellement imposé que consenti et vécu, et tirait sa légitimité dernière d’une transcendance. Le délinquant n’était pas seulement un hors-la-loi mais un hors-la-morale…car une certaine morale…se pratiquait spontanément sans se déchirer de questions ».

   Peu à peu, les points d’ancrage qui favorisaient une pratique morale, soutenant individus et société se sont désagrégés: le relativisme et le doute ont été promus maximes de vie, les valeurs suprêmes et permanentes dont parlaient Druon et Malraux, combattues, ridiculisées, se sont estompées. En rejetant toute transcendance et, par voie de conséquence, toute morale objective, nos sociétés « libérées » ont engendré la multiplication des désordres. En réduisant la morale à une affaire personnelle, le libéralisme philosophique et sa conséquence, l’individualisme, ont conduit  le pouvoir coercitif « sous peine de ruine absolue du corps social, à prendre en charge la moralité tout entière… Plus une morale se laïcise, plus le prêtre est destiné à être remplacé par le policier ; les dictatures sont la noire illustration de cette évidence  » poursuivait J.Cau. Moins les hommes sont civilisés, polis…policés, plus il est nécessaire de les rappeler à l’ordre par l’interventionnisme de la puissance publique  en tant qu’instrument de contrainte et de répression. La société policée cède le pas à la société policière. L’étau étatique se resserre sur tous les corps sociaux et leurs membres.

   Etrange paradoxe
d’une société où les medias, et quelques individus autoproclamés penseurs, prônant la plus totale liberté, en arrivent à contester les conséquences de ce qu’ils ont engendré : l’omniprésence des pouvoirs répressifs. Ils ont cassé les vitres et par la suite se plaignent des courants d’air !  
   Ce n’est que le fruit de La Liberté érigée en dogme, une liberté sans Dieu ni maître, autant dire le chaos. Pour rendre la société vivable, restent alors le retour au réel et au bon sens, l’humilité s’inclinant devant « les lois inscrites dans le cœur de l’homme », pour citer Cicéron…ou l’esclavage d’un autre
« Ordre », celui d’une dictature.

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