Faire des salariés les actionnaires de leur entreprise, par l’acquisition d’actions à conditions préférentielles, ou par l’intermédiaire de fonds de pension et autres fonds d’épargne : tel est un aspect de la politique économique et sociale du gouvernement. Les arguments en faveur des différentes formules existantes ou proposées ne manquent pas. Que valent-ils face aux attentes des salariés et des réalités ?

Nous avons recueilli les réflexions d’un cadre d’une importante société de services qui dans les années 80 a pu être partie prenante de ce qu’il appelait alors une aventure : le rachat de son entreprise. L’aventure a pris fin quelques années plus tard, au grand dam d’une majorité de salariés…minoritaires en capital. Désabusé, il a quitté son entreprise «vendue », s’estimant trahi par certains des dirigeants qu’il croyait entrepreneurs et qui n'étaient finalement que de "vulgaires machines à calculer" .

Développer l’actionnariat salarié, c’est, avance-t-on, susciter un état d’esprit d’entrepreneur individuel, dont les fondements seraient le salaire et l’investissement.

Ne serait-ce pas vue de l’esprit ? Le plus souvent être salarié ou entrepreneur relève de psychologies différentes : la recherche de la sécurité face à la prise de risque ; la tranquillité d’esprit face aux aléas de l’imprévisible.

Il est dit que ce serait un moyen de contribuer à la stabilité du capital, en s’appuyant sur un actionnaire par nature stable et fidèle, puisque « tenu » par le salaire.

Au quotidien, quelle peut être la puissance de l’actionnariat salarié pour jouer un rôle décisif sur la bourse ? Pour les sociétés cotées, la part de capital proposé aux salariés – voir les sociétés privatisées – empêche toute mise en cause des pouvoirs des actionnaires de référence et des institutionnels. De plus, il n’est qu’à voir les difficultés des associations d’actionnaires minoritaires qui cherchent à faire valoir leurs droits !

 • On a pensé aussi que c’était faire participer les salariés à la création de valeur dans l’entreprise, un moyen plus équitable de répartir la richesse créée et donc d’améliorer la qualité des relations sociales, dans le moyen et long terme.

L’argument pourrait être convainquant s’il n’était contredit quotidiennement par une recherche effrénée des profits à court terme, qui inquiète les salariés, déstabilise l’entreprise et risque de se réaliser au détriment du long terme.

L’accès favorisé à l’actionnariat aurait valeur éducative : en éveillant l’intérêt des salariés à la gestion d’un patrimoine, l’entreprise contribuerait à « élever » son personnel, à le « responsabiliser ».

Lorsque le capital de l'entreprise est négociable en bourse, tout salarié peut en acheter des titres. Il agit alors plus en épargnant, confiant dans la valeur des titres acquis, qu'en entrepreneur décidé à exercer un pouvoir réel. Aussi faut-il le laisser libre d'acheter là ou ailleurs, non l'y obliger par des offres préférentielles telles qu'il perdrait un avantage notable s'il n'y souscrivait pas. Gérer son patrimoine, c'est d'abord exercer une liberté! De plus, bien des salariés épargnants préfèrent ne pas avoir «tous leurs œufs dans le même panier »: salaire et épargne ne doivent pas être solidaires. C’est un principe de bonne gestion, ne pensez vous pas ?

L’actionnariat salarié est vu comme un moyen de créer un sentiment fort d’appartenance à l’entreprise, de renforcer son engagement, de mieux comprendre les objectifs poursuivis et de le rendre plus acteur du bon fonctionnement de l’entreprise.

Cela pourrait être vrai si, au jour le jour, les dirigeants par leurs modes de fonctionnement avaient le souci d’impliquer les personnes dans les décisions qui les concernent : l’implication est le fruit de multiples actions réfléchies du management à tous les niveaux – opérationnel et fonctionnel - pour valoriser le personnel. Lui permet-on de s'intéresser à son travail, son poste, sa matière première, ses clients, sa machine…enfin, à tout ce dont il a la charge ? Le met dans la situation où il a intérêt à apporter le meilleur de lui-même ? Veille-t-on à ne pas le désavouer ? Pense-t-on à le consulter avant de décider dans des domaines qui sont de son ressort ? Tout action globale visant à accroître l’implication du salarié – et l’actionnariat en est une - qui ne commencerait pas par une politique visant à placer les personnes, au quotidien, dans la situation où elles ont intérêt à bien faire, serait illusoire et sans lendemain. Toute tentative de faire participer au capital qui ne commencerait pas par donner à chacun les pouvoirs de sa responsabilité, les moyens d’assumer correctement sa mission serait un leurre.

• On a dit aussi que l’actionnariat des salariés pouvait être un atout pour la cohésion sociale ?

Permettez moi de n’évoquer que mon expérience, qui m’autorise à m’inscrire en faux contre cette affirmation. Peu après le rachat de l’entreprise par les salariés, une fois les dettes remboursées, nous avons vu des salariés, et notamment quelques « gros porteurs », faire campagne pour la revente de l’entreprise. Des clans se sont formés. Des grands chefs faisaient pression sur leurs collaborateurs pour la cession. Ils étaient eux-mêmes en contradiction avec la politique de la direction générale qui voulait sauvegarder l’indépendance de l’entreprise, raison pour laquelle les 2000 salariés avaient été conviés à la racheter quelques années plus tôt pour se libérer du carcan d’un grand groupe français ! Des cadres dirigeants qui en qualité d’actionnaires s’opposaient ouvertement aux orientations de la DG, se faisaient arpenteurs de couloirs, agents électoraux…La préoccupation du bon service au client était supplantée par celle de valoriser son propre capital. L’entreprise est aujourd’hui entre les mains d’un groupe étranger, leader mondial sur son marché. Notre rêve s’est effondré, et depuis je ne crois pas que l’actionnariat soit la réponse aux attentes réelles des salariés.

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