Le centenaire de la naissance de Simone Weil peut être l’occasion de se plonger dans ses réflexions sur le monde du travail, d’une actualité incontestable, tant apparaissent les impasses dans lesquelles nous nous fourvoyons depuis plus de 150 ans.
Agrégée,  professeur de philosophie, activement engagée dans les mouvements révolutionnaires, elle fut en 1930 la collaboratrice de Trotsky, installé à Paris après son expulsion par Staline.

   * Cherchant une harmonie totale entre son besoin de perfection et sa vie, cela antérieurement à toute influence religieuse (1), elle met ses idées à l’épreuve des réalités ; en1934, elle décide de vivre la condition ouvrière  en usine. Pendant plusieurs années, elle connaît la crainte d’être mise soudainement à la porte, de « ne pas tenir les temps » ; elle subit les remontrances injustifiées de « petits chefs » ; elle est scandalisée de voir une de ses compagnes d’atelier renvoyée pour avoir fait preuve de conscience professionnelle ; elle reçoit des « consignes d’exécution » dont est bannie tout initiative.

   * Au delà des anecdotes et détails de la vraie vie, son journal et ses lettres  sont émaillés de réflexions fondamentales sur les attentes et les besoins réels des «travailleurs  ». Avec un souci permanent du vrai, elle observe les hommes et les faits pour aller à l’essentiel.
    Elle épingle l’inanité de l’esprit de système : « Quand je pense que les grands chefs bolcheviks prétendaient créer une classe ouvrière libre et qu’aucun d’eux…n’avait sans doute mis le pied dans une usine et par suite n’avait la plus faible idée des conditions réelles qui déterminent la servitude ou la liberté pour les ouvriers, la politique m’apparaît comme une sinistre rigolade ».
    Elle analyse les erreurs des idéologies, tant socialiste que libérale ou conservatrice : « Concilier les exigences de la fabrication et les aspirations des hommes qui fabriquent est un problème que les capitalistes résolvent facilement en supprimant l’un de ses termes ; ils font comme si les hommes n’existaient pas. A l’inverse, certaines conceptions anarchistes suppriment l’autre terme : les nécessités de la fabrication».

  * Faute d’une philosophie sociale, fondée sur la connaissance de l’être humain et des sociétés dont il vit, la direction des hommes n’a été abordée que de manière fragmentaire et trop souvent traitée qu’au travers de prothèses psycho-sociologiques. Le problème du régime le plus désirable dans les entreprises industrielles  ne subsiste que par l’absence d’orientation, de principe de gouvernement.
Personne ne s’est préoccupé de ce qu’il faut dire aux hommes, de leurs besoins réels, de ce qu’il faut pour les placer dans une situation où ils peuvent donner le meilleur d’eux-mêmes, progresser intellectuellement et spirituellement. "Une usine doit être organisée de manière que la matière première ressort en produits ni trop rares, ni trop coûteux, ni défectueux, et qu’en même temps, les homme qui y entrent un matin n’en sortent pas diminués physiquement, ni moralement, le soir, au bout d’un jour, d’un an ou de vingt ans".

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Entrée révolutionnaire et athée en usine, soif de vérité et souci de coller au terrain conduisirent S. Weil à la dimension spirituelle de l’homme, à la prière, à la contemplation : "Le point d’unité du travail intellectuel et du travail manuel, c’est la contemplation, qui n’est pas un travail".

     Le travail, aussi modeste soit-il, peut aussi être un moyen d’élévation spirituelle, même si tout le monde n’est pas Simone Weil.

  (1) Albertine Thévenon, amie et correspondante régulière de S. Weil.
  (2) La condition ouvrière (Idées- Gallimard)

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