La meilleure stratégie est vouée à l'échec si les hommes sont négligés


Le désir de satisfaire les clients conduit à juste titre  à élaborer des politiques et plans d'action, à mettre en oeuvre des outils d'analyse, de gestion.
Ainsi, dotées, les entreprises devraient être armées pour affronter marché difficile,  banquiers,  fournisseurs, et  clients exigeants.
Pourtant, l'expérience est là pour prouver que la meilleure technologie, les méthodes les plus sophis­tiquées, la gestion la plus sûre, les carnets de commande les mieux garnis peuvent être mis en échec si le personnel se met en grève ou sim­plement n'apporte pas tous les soins nécessaires et se démobilise.

Quelle politique humaine ?  Trop souvent, les politiques en tout genre intro­duites dans nos entreprises,  l'ont été sans prendre suffisamment en compte les personnes, comme si les objectifs pouvaient être atteints sans elles, voire malgré elles.
Il ne saurait être question d'efficacité écono­mique sans une politique des hommes qui sous-­tend toutes les autres mesures nécessaires aux bons résultats.
Les hommes qui manient et améliorent les outils, qui appliquent et modifient les méthodes; sans eux rien ne se fait. De la qualité plus ou moins grande des hommes dépendent la qualité du travail et les résultats de l'entreprise.
Est-ce à dire que les mauvais résultats sont les fruits d'hommes médiocres? Cela se peut si on envisage cas par cas, en considérant chaque per­sonne. Les témoignages permettent cependant de constater que les comportements négatifs, les échecs, les rebuts, les "mal joués", les loupés sont ­presque toujours la conséquence d'une mauvaise utilisation des capacités des personnes, de leur potentiel.
Car la vie quotidienne de l'entreprise est faite d'événements et de situations qui poussent à négliger les personnes. Il faut parer au plus pressé, il faut aller vite. "Efficacité" est le maître-mot.
* Les méthodes mettent au point de nouveaux procédés de fabrication avec les respon­sables d'atelier, qui demandent un court délai avant d'introduire les modifications, afin d'y préparer le personnel concerné. Passant outre ces souhaits, le service des méthodes intervient dans les ateliers. "Tout est au point, il faut foncer". On fonce si bien qu'un débrayage de 8 jours s'ensuit. Efficacité ?

* Le réglage des machines ne s'est pas fait sans mal. Les efforts conjugués de tous ont permis le démarrage. Le responsable de l'équipe s'absente. Intervient le directeur des fabrications qui accélère les cadences des machines pour faire "passer" une commande urgente en fin de matinée. Les mécaniques s'enrayent. 5 heures d'arrêt. La commande urgente passera demain. Efficacité?
* Le chauffeur-livreur revient de tournée. Il rapporte à son patron d'équipe des propos entendus chez le client sur les produits de la maison. "Nous vous demandons de bien conduire, de bien livrer. Le reste n'est pas de votre domaine", et le chauffeur-livreur d'ajouter: "Depuis 4 ans, j'ai compris, je ferme ma g.. .". Efficacité?
* Le cahier des charges stipule l'emploi de tôles de grande dimension pour limiter le nombre des soudures. Confronté à une difficulté d'approvisionnement, le service fabrication prend l'initiative d'utiliser des tôles plus petites, afin de respecter les délais de livraison. On explique aux soudeurs la nécessité de multiplier les opérations et d'y apporter un grand soin. Le travail est fait et bien fait. Une fois de plus on s'en est bien sorti! Quelques jours après, le client fait savoir au service commercial, surpris, qu'il retourne les fabrications non conformes. Une simple entrevue avec le service commercial - qui aurait "vendu" les modifications au client -n' aurait-elle pas favorisé une plus grande Efficacité ?
* Un client, ayant demandé un trai­tement de faveur à la personne qui gère son compte, se voit opposer un refus motivé et expliqué. Le client se retourne vers le patron qui, en dehors de la personne chargée du dossier, accorde ce qu'elle avait refusé. "Maintenant, dit-elle, je me garde bien de traiter les problèmes. Je prends les dossiers et je les transmet au directeur". Efficacité?
* Les primes de fin d'année ont été attribuées. Chacun en fonction des services rendus, des qualités apportées a été plus ou moins gratifié. Dans un secteur de l'entreprise rien n'est encore fait et le mois de mars est déjà bien entamé. Le patron de service a des affaires plus urgentes à traiter; les clients passent avant tout! et de s'étonner de la mauvaise humeur, des bruits de couloir, des têtes de travers... Efficacité?

Pas le temps? l'urgent prend le pas sur l'important

Pourquoi n'informe-t-on pas?
Pourquoi ne répond-on pas aux questions posées?
Pourquoi ne donne-t-on pas les explications? Pourquoi ne suscite-t-on pas l'avis des opérateurs?
Pourquoi n'écoute-t-on pas avec les colla­borateurs?
Pourquoi ne s'entretient-on pas avec les col­lègues des autres services?
Les témoignages recueillis invoquent toujours le temps, rarement la mauvaise volonté.
"Nous n'avons pas le temps". "Nous courons toute la journée". "Nous sommes pris par les urgences".
Une machine en panne ça n'attend pas!
Les doléances du client ça presse!
Les bordereaux de la comptabilité, c'est pour 16 heures!
Les pointages de la paye, c'est pour ce soir 1...
Alors pas le temps d'informer, de consulter, de répondre, de se coordonner...

Le résultat est là : on ne traite que des urgences. L'important est négligé : les personnes.
Inconsciemment, on admet que  l' homme est un machin qui doit fonctionner seul et auquel il n'est porté intérêt qu'en cas de panne.

A-t-on suffisamment réfléchi combien le trai­tement des urgences, en crée de nouvelles?
Le travail mal préparé - il faut aller vite – sera à refaire.
La lettre de dernière minute, recommencée trois fois...
Le manque d'explications se traduira en "rebuts".. .
L'absence de consultation dans une décision fera naître de la mauvaise volonté, et sera source de démobilisation.. .
Efficacité?
Prendre le temps, un état d'esprit, un choix

Personne n'a le temps. Mais tout le monde peut prendre le temps.
C'est être persuadé que les résultats sont à la mesure du degré d'implication des personnes. Il faut une certaine dose de volonté pour respecter cette échelle des valeurs, faute de quoi on ne peut correctement arriver au but.
La priorité donnée aux personnes est l'assu­rance d'une meilleure maîtrise des problèmes techniques, administratifs, financiers…et donc par là d'une meilleure efficacité de l'entreprise.

Il s'agit de dégager le temps indispensable à consacrer aux hommes, pour éviter de laisser les urgences prendre le pas sur les importances.

* Dans une grande usine du. Nord, un chef d'équipe est absent. Le chef d'atelier devra faire double tâche. A 9 heures, téléphone du chef d'équipe: "Monsieur, il faut que vous veniez tout de suite". Le chef d'atelier sait qu'il y a une situation familiale difficile. Il prend sa voiture, va chez le chef d'équipe, y passe un quart d'heure et revient. Une petite heure d'absence, mais le chef d'équipe arrive à l'usine peu après.
La disponibilité du chef d'atelier - priorité au problème personnel de son chef d'équipe sur les urgences techniques de l'atelier - a évité un drame familial. Elle se révèle efficace puisqu'elle évite une plus longue absence du chef d'équipe et permet au chef d'atelier de se remettre à sa tâche propre.

C'est cela la DISPONIBILlTË.

Affaire de conviction et de volonté.

Vouloir prendre le temps.
Combien de parents qui connaissent les diffi­cultés avec leurs enfants avouent aujourd'hui "ne pas avoir pris le temps" de s'intéresser à eux ! Le travail, les amis, les vacances, les sorties, les asso­ciations, le jardin... C'est un choix de décider de ce qui est important ou non.

De la même manière, la mise en œuvre de la disponibilité dans l'entreprise est une question de choix. Choix exigeant parce qu'il signifie qu'y sont privi­légiées les relations personnelles, qu’informations et consultation avant décision sont réservées en priorité à ceux qui sont affectés dans leur mission.

* Un incident s'est produit. L'ouvrière en parle à son chef en fin de journée :
- Pourquoi ne m'en avez-vous pas parlé ce matin ?
- Je n'ai pas osé, vous étiez occupé!

Un chef est toujours "occupé". Mais il y en a qui ont "l'air" si occupé, qu'on ne peut pas les déranger : question de visage, d'attitude. D'autres - ce ne sont pas les moins occupés - sont accessibles, savent même aller au devant des questions.
Le résultat ? Bien des questions, traitées à temps, sont plus vite résolues. On y gagne du temps. Efficacité.

Un choix de direction

C'est d'abord un choix de direction et une attitude de tout l'encadrement, à tous les  niveaux.

* Un ingénieur de production :
- J'ai fait plusieurs usines. Dans chacune d'elles, lorsque mon directeur m'appelait, la pre­mière question était : "Où en sont vos résultats?" Maintenant, la première question du patron est toujours: "Où en est votre équipe, y en est-il qui vous posent un problème, en est-il qui montent, qui progressent ? Après s'être entretenus des personnes, on parle des résultats …."


* Des cadres disaient un jour à leur patron :
- Vous n'avez rien à faire, c'est nous qui traitons toutes les questions.
- Vrai, répondit le patron, mais j'ai choisi mes collabora­teurs et pour cela j'ai appris à les connaître!...
Ce qui demande de libérer du temps à consacrer aux personnes
.

Monsieur Katsuaki Suguira, longtemps représentant des entreprises japonaises en France, affirmait, parlant du Japon :
"II faut prendre du temps pour expliquer officieusement un dossier, non seulement pour persuader les gens de la nécessité et de l'im­portance de  l’affaire, mais pour qu'ils se sentent au moins engagés psychologiquement.
Par conséquent, premièrement il faut se connaître, se faire connaître à fond. C'est le premier pas, le point de départ. Ensuite viennent la discussion, la négociation, le compromis... Mieux on se connaît, plus profondément et plus ouver­tement on arrive à discuter.
Une relation solide et intime est .une condi­tion primordiale pour que les critiques soient plutôt favorablement accueillies, sinon les subordonnés japonais sentiraient un mécontentement et n'accepteraient jamais les critiques. Les managers japonais font des efforts pour maintenir des rela­tions suffisamment amicales et proches pour pouvoir critiquer à un moment nécessaire.
Il ne faut pas oublier les efforts que font les Japonais, qu'ils se donnent la peine de faire, pour créer cette fameuse homogénéité japonaise, qui surprend l’Occident".
On le voit, il ne s'agit pas là d'un phénomène de culture, de civilisation, de mœurs. La cohésion ne tient pas du miracle.

Une manière d'être

La disponibilité est avant tout une manière d'être, une qualité personnelle.

Le temps passé avec les personnes, pris pour prévenir ou régler les difficultés n'apparaît ni dans le compte d'exploitation, ni même dans le bilan social. Mais il se traduit bien souvent en idées, amélio­rations, souci de la qualité, initiatives... sinon en euros...
C'est une ligne de conduite qui a pour point de départ le choix volontaire de faire participer chaque personne et pour cela de donner la priorité aux relations personnelles sur les rela­tions structurelles et administratives.
Diriger consiste à faire passer les choses et les techniques après les hommes, personnaliser tous les actes de l'entreprise, prévoir les événements afin d'y préparer les hommes.
Ce souci des hommes doit être une préoc­cupation de tous les instants pour une direction et l’ensemble du management. Elle doit se manifester dans les plus petits détails de la vie de l'entreprise. C’est cela la disponibilité.

 

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