FAIRE BOIRE UN ÂNE QUI N'A PAS SOIF
Le public était peu nombreux, trié sur le volet. L’architecte qui avait conçu cette salle du 12ème étage n’y avait certainement jamais passé plus de 5 minutes : pièce aveugle, aussi chaleureuse que des toilettes d’aéroport.
Le conférencier, expert en “management du changement”, entretenait son auditoire sur l’art de vaincre les résistances et de “communiquer un leadership visionnaire”. La “latéralisation des relations” était LA solution...Je crois avoir compris que, pour introduire des changements, il était judicieux de repérer les personnes pouvant être moteurs de l’opération et de leur donner toute latitude pour entraîner les autres...Alambiqué, confus, touffu, pédant...et pour tout dire, ennuyeux.
Ce soir là, manquait l’humoriste qui aurait expliqué que, contrairement au dicton, il est possible de faire boire un âne qui n’a pas soif. Je me serais bien livré à la démonstration, mais la vue du docte et sérieux auditoire me rappela que je n’étais point au café-théâtre. La méthode est simple et de bon sens. Je la livre, vu que ce billet est destiné aux correspondants de CPE-réseau et non à la Harvard Business Review.
Prendre un âne qui a très soif. Le placer à côté de l’âne qui ne veut pas boire. Déposer entre les deux solipèdes un grand baquet d’eau fraîche. Le premier y plonge le museau avec délectation, queue ballottante, poils hérissés et moult braiments. L’autre, ahuri, regarde la scène, et peu à peu se rapproche du récipient, pour y plonger d’abord une langue discrète, puis s’abreuver avidement.
Une entreprise de la métallurgie pratiquait depuis des lustres la rémunération aux pièces. Les dirigeants convaincus de la nocivité du système pour le client et le personnel étaient bien décidés à en changer. Mais il fallait compter avec le poids des habitudes, certaines réticences de l’encadrement, les organisations syndicales...Le chef d’un petit secteur, ayant bien son équipe en mains, se lança. Six ans plus tard, la rémunération aux pièces était du passé. Aujourd’hui, 25 ans après, la rémunération des 1500 collaborateurs des deux usines françaises est totalement personnalisée en fonction des services qu’ils rendent.
Dans l’espèce humaine aussi, l’exemple est contagieux.
De plus, nos entreprises ne comptent pas de solipèdes - quadrupèdes. Mais de simples bipèdes à poils, et non à plumes, qui plus est, dotés d’intelligence, c’est à dire de la faculté d’analyser, de comparer, de juger et finalement de comprendre et donc de vouloir. Encore faut-il prendre le temps de montrer l’objectif, d’expliquer les raisons, d’écouter les objections, de prendre en considération les propositions, de répondre aux questions...Montrer de l'intérêt à chacun, car chaque être est unique.
Par J.H | 28/10/2013 19:31 | Histoires et paraboles | aucun commentaire |